Catégorie: "Carnet"
Il y a quatre ou cinq ans, un soir de mai, alors que dans le hall du Centre culturel bavardent ceux qui attendent que les portes du théâtre s'ouvrent pour la représentation, Philippe Victorion m'avait dit : "Le Festival, c'est bien, car il y a des personnes de Coye que l'on ne rencontre qu'ici chaque année. Quand on arrive, on regarde qui est là, qui manque, et cela nous permet de savoir qui ne viendra plus."
Ce jour est arrivé, Philippe, vous manquerez au 35e Festival.
Entre le Festival et Philippe Victorion, c'est une histoire de fidélité au théâtre. Car il a été là dès les premières années dans le groupe des bénévoles. A cette époque, représentant l'association des Amphibiens, il apportait sa compétence d'expert en installations électriques et savait où trouver le matériel nécessaire. C'étaient les années où il n'y avait pas d'équipe technique professionnelle, et les bénévoles qualifiés dans ce domaine étaient particulièrement bienvenus. Donc, au matin, Philippe dressait l'échelle et, la tête près du plafond, assisté de quelques intrépides comme lui, branchait, ajustait, vérifiait les projecteurs, et le soir il démontait. Des interventions acrobatiques pendant dix ans.
Et comme tous, porté par le désir de faire vivre l'événement, il participait à l'élaboration du programme, donnait son opinion, toujours avec mesure et modestie, une grande tolérance pour les avis des autres.
J’étais au Centre culturel ce dernier samedi, venue pour la poésie.
Rémy Chevillard y avait imaginé une soirée chaleureuse pour dire sa passion de la poésie : « Pages célèbres, poésie à la carte ». Nous n’étions pas assis dans les gradins – ces gradins que tu avais voulus, Claude, dont tu voulais avec obstination qu’ils ne soient jamais démontés, tant te semblait indiscutable la vocation de la salle – mais sur la scène aménagée en décor de restaurant : petites tables recouvertes de nappes blanches, vin et cidre à notre portée, recueils de poésie laissés là. Le diseur de poésie devant nous, ou assis familièrement à une table. Et sont venus alors les grands textes de notre littérature. Ceux que tu aimes, ceux dont tu as enseigné, avec une ferveur que tu communiquais à tes élèves du lycée de Chantilly, la beauté et la force. Baudelaire, Mallarmé, Hugo, Rimbaud, Apollinaire… et Nerval en compagnie duquel tu travaillais encore récemment. Pensant à toi qui luttais pour vivre, j’ai écouté, émue, recueillie « El Desdichado » :
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie…

