Dans 1984, « Big Brother » vous observait. Aujourd’hui, « Big data » sait tout de vous.
Et demain ?...
Aujourd’hui, tout le monde est filmé partout, suivi dans ses déplacements, fiché, etc. La plupart des gens ne s’en aperçoivent ou ne s’en préoccupent pas, d’autres trouvent ça normal et même très bien. Une minorité dont je fais partie s’en inquiète, et pas parce que nous aurions quoi que ce soit à nous reprocher ou à cacher.
La vidéosurveillance (et pas vidéoprotection) fleurit sur la voie publique, mais les escrocs et arnaqueurs en tout genre surfent sur les réseaux sociaux pour trouver leurs proies. Les impôts font de même pour détecter d’éventuels fraudeurs, l’assurance maladie connaît vos fréquentations pour prévenir vos contacts si vous êtes malades, la RATP enregistre vos déplacements.
Mais tout va bien dans le meilleur des mondes, puisque tout ça est cloisonné, sécurisé, contrôlé… enfin, il paraît.
C’était une époque paisible. Dès les premiers mots, les paroles tombées de l’Olympe étaient mensongères : on n’était pas en guerre. Sans les stries des avions, le ciel, par-dessus les toits, était magnifiquement bleu, et si calmes les rues sans voitures. On perdait l’habitude du bruit. Le printemps éclatait dans toute sa splendeur. De jour en jour on voyait pousser les feuilles aux arbres derrière la vitre. Les herbes réputées mauvaises, les plantes sauvages, les roses trémières s’épanouissaient au bord des trottoirs. Chacun était enfermé chez soi, assigné à résidence, mais, non, on n’était pas en guerre : pas de bombardements, pas de tirs de mortier, pas de snipers embusqués sur une terrasse ou derrière un pan de mur. On avait la chance d’habiter des maisons avec un jardin, à côté de voisins tranquilles, dans un village calme entouré de forêts et on gardait la conscience aigüe qu’il s’agissait là d’un luxe inestimable. On n’était pas en guerre mais un danger invisible, impalpable, abstrait rôdait dans les espaces publics. Il n’y avait pas encore de couvre-feu, mais les réverbères s’éteignaient avant dix heures le soir. On parlait d’état d’exception. Pendant des semaines et des semaines, à longueur de journée , étaient diffusés sur les ondes des messages d’alerte afin qu’on n’oublie pas – des fois qu’on oublierait – que, même invisible, impalpable, abstrait, le danger restait tapi dans la clarté. Une menace insaisissable pesait sur chacun, empêchait de penser. Obsédant, assourdissant, abrutissant, c’était l’unique sujet de conversation, l’unique question d’actualité, l’unique information dispensée sur tous les postes. On se réveillait avec ça, on se couchait avec ça. Ça envahissait tout l’espace. Pourtant c’était loin, insaisissable, irréel et, malgré soi, une anxiété diffuse se nichait au creux du ventre, imperceptible mais présente, qui silencieusement minait le moral. Un malaise inanalysable, une fatigue sans raison pesaient sur les corps et les esprits.
Le sapin se voit de loin dans le quartier. À son faîte, l'étoile bleue nous sert de guide dans ce voyage lointain vers l'Arctique. Les années précédentes, Paul m'avait déjà montré la crèche sur le rocher de Bonifacio, ou dans les ruelles d'un village de Provence et même, la dernière fois, entre les temples de Petra. Mais au pôle Nord, qui aurait pu y penser ?
Ce fut chaque fois un voyage étonnant. J'étais curieuse de voir ce que le poète artisan aurait imaginé cette année, ma petite fille avait voulu en être, tant les crèches de Paul la ravissent.
Dans le salon, le sapin de Noël est fin prêt, blanc et argenté il luit doucement...
Mais on l'oublie bientôt, notre regard happé par le mur de glace et la blancheur d'une banquise qui s'étale sous nos yeux, cernée par les vagues de l'océan d'un bleu vert profond aux couleurs changeantes.
Cela scintille dans les platanes et les vitrines. Ces dames traversent en courant dans les lumières des embouteillages, les bras chargés de sacs verts, rouges et or, pendant que ces messieurs tiennent la poussette d’une main et de l’autre le téléphone à l’oreille. Les magasins font le plein. Les confiseurs n’ont pas de trêve. Il pleut sur les feuilles grasses des trottoirs et je fais mon coming-out. Je ne crois plus au Père Noël. Déjà que je croyais plus au Bon Dieu depuis des lustres, persuadé que s’il existe, il n’est sûrement pas bon, pour faire aux gens ce qu’ils subissent. En tout cas, je n’ai pas du tout envie de le rencontrer.
Ils viennent de l’Est, de Tchétchénie, d’Afghanistan, des confins du Caucase ou des montagnes du Pakistan. Ils viennent le cerveau embrasé d’Allah, le cœur gonflé de rage et les yeux rougis de sang, prêts aux horreurs les plus lâches et aux sacrifices les plus avilissants. Ils viennent du Nord, trouant le blizzard de l’hiver dans des bolides fuselés, chargés d’armes et de drogues, lancés à tombeau ouvert sur des autoroutes sans douanier ni frontière, et vendent des femmes, de la coke ou des masques anti-Covid frelatés, sans plus d’état d’âme que s’ils tuaient leur mère. Ils viennent de l’Ouest, dans leurs avions privés, sans un regard pour les nuages qui fuient sous leurs ailes, ni pour l’abyssal décolleté de leur secrétaire. Ils sirotent des alcools de luxe, bien calés sur leurs vieux derrières, prêts à sacrifier la planète entière pour mettre leur pire ennemi à terre, assis lui aussi dans un trône volant, entouré lui aussi de secrétaires zélées et de sémillants courtisans docilement cravatés.
J’étais aujourd’hui sur la place de mon village, battu par le vent, figé dans la gravité du carillon régulier des cloches du clocher. Elles sonnaient midi à la volée, sans vergogne, sans rien savoir de l’indignation de la petite foule à leurs pieds. Elles rappelaient aux gens l’inexorable temps qui passe, lourdement, dans la course puissante des nuées que l’automne poussait par-dessus les toits. Arrivant par bribes dans les tourbillons du vent, les discours étaient émouvants et doux pour nos âmes blessées. Les enfants du village ont écrit LIBERTÉ partout, sur les maisons, sur les nuages, sur les sourires sous les masques et dans les larmes au cœur que chaque silence retenait.
Ce vendredi 16 octobre, sur le parking de votre collège, vous deviez déjà ressentir ce soulagement que nous connaissons tous la veille des vacances, penser à la famille, aux promenades, à la détente … et cet automne est si beau… la lumière, les arbres. On pourrait être heureux.
Il vous restait quelques flashs de la journée qui venait de se terminer, de vos élèves — vous ne les aviez pas tout à fait quittés, celui-ci avait encore négligé son travail, celui-là progressait , de vos cours — il faudrait revoir le dernier chapitre à la rentrée avec les 3es…
Au même moment les enseignants de France terminaient leur journée, comme vous, sans savoir que tout exploserait quelques secondes plus tard.
Va-t-on rater aussi la vélorution ? Le rêve de révolution verte grâce à l’usage intensif du deux-roues deviendrait-il un cauchemar ? Est-ce l’angoisse de la pluie qui ne vient pas ? Est-ce l’anxiété ambiante, avec ce Covid qui se remet à tuer tranquillement dans les antres vert-clair des réanimations inhospitalières ? Ou la possible réélection de Trump, ce mafieux barbare, comptant bien sur l’aide poutinienne ? Mais une fureur vélocipédique s’est abattue sur la France. Tels des sauterelles ou des criquets sur des échasses roulantes, la jeunesse, toujours imbue d’elle-même, triomphe à toute allure sur les voies piétonnes, les trottoirs citadins, les files des bus, les chemins de traverse, les voies sur berge, les allées cavalières, les grands boulevards, les ruelles étroites, jusqu’aux moindres GR forestiers et aussi bien sûr sur les pistes cyclables.
Combien faudra-t-il de vagues de malades et de morts pour que les puissants qui mènent le monde baissent les yeux sur ceux qui souffrent à leurs pieds ? Comment la veulent-ils, leur planète ? Bleue ? Ou rouge du sang de ses martyrs ? Après le confinement et la canicule, la nouvelle épidémie annoncée va briser des vies et blesser des familles. Nous, les pas-solides, les plus-bien-jeunes, ferons-nous encore partie de leurs dommages collatéraux ? Nous, les invalides, les obsolètes, les pas vendables, les passés décomposés, les imparfaites du subjonctif et les passés simples de la comprenette, nous sommes leur marge de manœuvre, leur population tampon, leur pourcentage acceptable de victimes pour construire leur société de demain, qui est celle d’hier, mais en pire.
Festival Théâtral en vue : Rencontre avec Jean-François Gabillet
Festival théâtral, Entretiens-PortraitsUn printemps sans théâtre, sans Festival Théâtral à Coye-la-Forêt, cela ne s’était pas vu depuis… depuis… bientôt quarante ans… 1982 ! Le festival annoncé rendait les hivers moins gris et dans l’agenda de la nouvelle année on s’empressait d’en noter les dates pour être sûr qu’on serait bien là à Coye-la-Forêt au mois de mai.
L’ordre des choses fut bouleversé, et il ne fallut pas moins qu’une pandémie pour vider le mois de mai de son habituelle coloration. Toutes les festivités du printemps furent annulées, brocante, fête de la musique, feux de la Saint-Jean…
Mais, ô surprise, le festival résista – le théâtre est décidément une résistance. Et sur l’affiche on vit bientôt paraître le mot « reporté en septembre », et non le fatidique « annulé » qui sévissait ailleurs. La fête du théâtre serait donc pour l’automne. Rien n’était perdu !
Pour tout savoir sur ce petit miracle, la rédaction a rencontré Jean-François Gabillet, président de l’association du Festival Théâtral.
« Le ciel est bleu, la mer est verte, laisse un peu la fenêtre ouverte », mais si tu peux, reste en alerte. Il suffira d’une crise et les vieux patriarches reprendront les commandes de notre société, abandonnée un instant à leurs dévoués démagogues et à leurs médiatiques « mensongologues ». Ils sauront à leur guise fermer les bouches insoumises. Savez-vous qu’on obtient beaucoup d’un peuple, surtout si on le méprise ? Reste en alerte ! « Le ciel est bleu, la mer est verte ». Écoute le vent dans les haubans. Écoute les cris des goélands. Laisse la chaleur délier tes muscles trop serrés. Oublie ce que ta vie a de pesant et d’infini.
Nous serons triste en Juin cette année. Nous resterons masqué.es. Il n’y aura pas d’odeur de frites ni de reflets de guirlandes dans les verres. Nos oreilles ne se blesseront pas aux désaccords des guitares et aux larsens de fin de soirée. Les belles ne nous joueront pas ces balades d’été qui font vibrer leurs violons et briller leurs yeux d’envies de danser. Ils ne souffleront pas en gonflant leurs joues dans des hélicons improbables, ni ne battront leur colère d’être noir sur la peau de chèvre blanche de leurs tam-tams bombés. Elles ne balanceront pas leurs robes de couleur en remontant vers le crépuscule du bout de la ruelle. Ils ne rentreront pas le long du caniveau, en chantant pour tromper leur ivresse. La musique ne fera pas la fête. Comme une odeur de deuil se mêlera à celles des fleurs. Quelques enfants amoureux tenteront d’occuper la fin d’un jour sans fin, en marchant dans la nuit se tenant par la main. Et nous resterons masqué.es.