L'ogrelet
De Suzanne Lebeau
Cie Théâtre de Paille
Mise en scène : Christophe Laparra
Mon petit Ogrelet, c'est le surnom plein de tendresse qu'a donné sa maman au petit ogre de six ans, déjà grand comme un adulte ! Comment pourrait-il aller à l'école avec les petits enfants de son âge ? Il faut commencer par lui donner un nom : il s'appellera Simon.
Il s'agit d'un conte avec, bien sûr, un brin de magie puisqu'on y passe à travers le miroir et qu'on peut y parler avec les animaux : aussi le décors est-il rustique, l'action située dans un milieu rural atemporel.
La modernité est présente pourtant, sous la forme d'un écran où est projeté un très joli dessin animé en noir et blanc avec, au fur et à mesure, les titres des chapitres qui marquent les différentes étapes du récit.
Et soudain surgit la couleur rouge, le rouge sang, la couleur tant redoutée par la mère, la couleur prohibée, refoulée.
Nous sommes dans la tradition de ces contes dont Bruno Bettelheim entreprenait la psychanalyse : ce que l'Ogrelet va découvrir, ce n'est pas tant sa différence que sa propre intériorité ; et ce que le spectateur trouve en Simon, ce n'est pas du tout son altérité mais bien au contraire sa ressemblance avec lui. Ce qu'il révèle justement, c'est ce qui nous est commun à tous, mais qui est caché, refoulé, à savoir notre part de monstruosité. Confusément le spectateur, en regardant Simon, sait qu'il lui ressemble. Car chacun porte en soi une bête sauvage. Les enseignants des petites classes maternelles et primaires vous le diront : les enfants sont souvent prompts à mordre leurs petits camarades. Tel est le sens des trois épreuves initiatiques que doit réussir l'Ogrelet pour devenir un être humain : il doit apprendre à maîtriser ses émotions, notamment par le biais de la verbalisation (c'est pour cela qu'il va à l'école) et il lui faut apprendre également à dominer ses pulsions.
Lorsqu'on regarde les choses en face et qu'on les nomme, on apprend à les connaître et à les apprivoiser. L'Ogrelet, quittant le giron maternel, prend le nom de "Simon", et Simon appelle "Chien-de-nuit" le loup avec qui il doit cohabiter. J'ai retenu cette très belle phrase : "La peur rend méchant. Il est plus difficile de tuer quelqu'un à qui on a donné un nom." Simon ne tuera pas Chien-de-nuit.
Tel est l'enseignement de ce conte qui comporte plusieurs scènes nocturnes évoquant ce qu'il y a d'obscur en chacun de nous. Forcément cette représentation parle aux enfants, elle trouve une résonnance en eux qui éveille leurs peurs et leur curiosité.
La leçon est également pour les parents : il ne sert à rien de vouloir préserver son enfant du monde extérieur, le protéger, le garder à l'abri. Au contraire, pour "grandir", pour devenir adulte et responsable, pour apprendre à vivre en homme social avec ses semblables et également avec ceux qui ne lui ressemblent pas, il faut que l'enfant affronte les difficultés, qu'il sache les regarder en face au lieu de les esquiver. Les coquelicots sont rouges sur le bord du chemin.
Cette adaptation théâtrale d'un beau texte de la littérature enfantine produit une représentation subtile et élégante.
Les comédiens sont généreux, ils font un métier où l'on donne beaucoup de soi.
Lundi matin, après la représentation, ils ont proposé une rencontre avec ceux des spectateurs qui pouvaient rester un moment à discuter. Les enfants ont manifesté joyeusement leur intérêt en posant de très nombreuses questions, notamment sur le dispositif scénique, sur les accessoires (la très belle tête de loup aux yeux jaunes qui brillent dans la nuit, le coq articulé au beau plumage blanc, et le coq prêt à cuire, plus vrai que nature !) et ils avaient également des questions sur le métier. Nous avons ce jour-là assisté à la 64e représentation de la pièce.
Le plus difficile, nous explique Christophe Laparra, directeur du Théâtre de Paille, c'est de trouver des endroits où jouer.
Pour notre bonheur, Coye-la-Forêt est un de ces lieux privilégiés, plusieurs troupes l'ont exprimé publiquement au cours du festival.
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