REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS !
De Théophile Gautier et Bernard Lopez
Compagnie Abraxas
Mise en scène : Jean-Claude Penchenat
Une vraie soirée joyeuse ! Le pur plaisir du beau théâtre, avec un vrai texte écrit pour la scène, avec le romantisme, la mise en scène élégante, à la fois parodique et imaginative, de Jean-Claude Penchenat et sept comédiens excellents et heureux sur les planches. Et nous dans la salle, heureux avec eux !
Dépaysement assuré ! Voici l'Espagne ! Telle qu'on la rêve. Telle que prétend l'avoir découverte Théophile Gautier « Villes gothiques, orangers aux pommes d'or, bandits contrebandiers. Andalouses au sein bruni? »¹. L'Espagne de la Cour et de l'aristocratie. L'Espagne des duels où l'épée jaillit du fourreau comme l'éclair. Une Espagne en rouge et noir comme le décor et les costumes conçus pour ce spectacle, avec sobriété et raffinement. Palais, parcs, escaliers dérobés, murs à escalader la nuit au clair de lune : le cadre idéal pour les chevauchées, les sérénades et les passions tumultueuses. Nous sommes au palais royal d'Aranjuez, ni plus ni moins, avec la Reine d'Espagne, Elizabeth Farnèse ; sa suivante, Griselda ; le Comte, maître de cérémonie et sa nièce, Dona Béatrix ; Don Melchior, le bel hidalgo fanfaron, séducteur et intéressé ; et enfin Don Gaspar, l'amoureux chevaleresque ; ainsi que toute une cohorte de gardes, les alguazils. Enfin, une cohorte, c'est beaucoup dire... Un seul alguazil, la tête couverte du fameux casque morion des conquistadors espagnols². Mais à lui seul il est toute une armée, tant il se démène, courant de droite, de gauche, surveillant les portes, fouillant les fourrés...
Ce n'est pas que l'intrigue soit spécialement passionnante : pastiche du roman historique de cape et d'épée, mâtinée de romantisme et de comédie dramatique, elle est faite pour le divertissement. Pas d'inquiétude quant au dénouement ! On sait que le fourbe sera démasqué et que les amoureux finiront par se reconnaître. La Reine court un danger mortel lors d?une chevauchée. Mais l'étiquette interdit de la toucher, sous peine de mort. Un jeune homme hardi, Don Gaspar, risque sa vie pour la sauver. Par ce geste d'une folle imprudence, il obtient l'amour de la séduisante Dona Béatrix. Bien sûr, pour la conquérir, le parcours est semé d'obstacles : la volonté d'un père, les manoeuvres du fourbe Don Melchior, les alguazils menaçants, et de nombreux quiproquos qui embrouillent sérieusement la situation. La langue de l'auteur est belle, l'humour savoureux, et l'on se laisse embarquer dans cette équipée vers les temps héroïques, d'autant que le voyage est drôle et surprenant.
Car l'intérêt principal du spectacle est dans l'inventivité de la mise en scène et la performance des comédiens.
Jean-Claude Penchenat y met du piquant grâce à une mise en abyme humoristique - le théâtre dans le théâtre - ajoutant aux protagonistes de la pièce un personnage supplémentaire, une sorte de metteur en scène, qui fait quelques commentaires, reprend les didascalies de Théophile Gautier et dirige ses comédiens dans leur interprétation. Installé côté cour avec ses livres, Désiré Reniflard³ - c'est son nom - suit le texte, vérifie le jeu de ses acteurs, contrôle - et éventuellement rectifie - les entrées et les sorties, signale les apartés, corrige la prononciation, bref est attentif à tout. Il coupe la tirade de l'amoureux et montre par des mimiques qu'il s'ennuie ou qu'il approuve. C'est du deuxième degré : le théâtre qui se moque du théâtre ! Paul Marchadier excelle dans le rôle. Homme à tout faire, le metteur en scène devient figurant si la situation l'exige, le voilà qui joue les alguazils ; plus tard, il est l'accessoiriste qui fournit la collation sur le plateau ; et surtout il fait le bruiteur, ponctuant l'action de roulements de castagnettes, de coups de fusil et du bruit des épées qui cinglent l'air ou qui se croisent (parfois même, à contretemps pour mettre un comble à notre plaisir). C'est un virtuose de la louche et de la cuillère dont le frottement sait à la seconde près dire le sifflement de la lame qui rentre au fourreau. Les trouvailles sont multiples et font du spectacle un vrai divertissement. C'est d'une légèreté, d'une inventivité et d'une drôlerie réjouissantes.
Les spectateurs l'ont fait savoir par les nombreux rappels qui saluent le travail et la réussite de toute la troupe : une mise en scène précise et soignée, des comédiens qui jouent « au cordeau ». Rien ne dépasse. Les femmes ont une allure royale, les chignons sont dessinés à la perfection, la fleur rouge illumine leur teint, la mantille de la Reine ne cache pas sa beauté. Quant aux hommes, dans leurs pantalons noirs et leurs (plus ou moins !) grandes capes, leurs silhouettes souples d'hidalgos sont faites pour les approches galantes, les duels, les escalades périlleuses. Le public est conquis, car tout est signifiant, une démarche, un mouvement de chapeau, une cape qui virevolte, un regard.
Bravo aux sept comédiens et à leur metteur en scène pour avoir entraîné le public dans une aventure si brillante et si drôle. Une soirée que l'on n'oubliera pas.
¹Extraits du prologue de la pièce
²Le morion, dit wikipedia, est un casque européen en usage aux XVIe et XVIIe siècles, ouvert, issu du chapel de fer et proche du cabasset. Il est caractérisé par sa haute crête.
³Jean-Claude Penchenat explique dans la préface que Désiré Reniflard est un personnage tiré de « Voyage en Espagne » de Théophile Gautier.
GALERIE PHOTOS : REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS De Théophile Gautier et Bernard Lopez
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