34° FESTIVAL THÉÂTRAL
INAUGURATION
Samedi 18 avril 2015
Festive, chaleureuse, intéressante, telle fut l'inauguration du 34° Festival dans la salle Claude Domenech du Centre culturel. Les futurs spectateurs étaient venus nombreux, programme en main, dans l'attente d'informations capitales pour faire les bons choix parmi les quatorze soirées du Festival. La réussite de leur mois de mai théâtral en dépendrait.
Une soirée à quatre temps : la présentation des spectacles, les discours des "officiels", un intermède théâtral et des conversations joyeuses autour d'un buffet réjouissant.
Pour présenter le programme, sur scène pendant une heure, nos acteurs bien connus, à l'aise autour d'une table, comme s'ils conversaient entre eux :
Jean-François Gabillet, le président de l'association, détendu, souriant comme à son habitude,
Sylvie Grimal, conseillère artistique, voix douce, sensible à la beauté des textes de théâtre, à la subtilité des réalisations,
Jean-Claude Grimal, vice-président, carré, voix forte, assurée, un as de la culture théâtrale.
Avec Michèle et Isabelle Domenech, discrètement présentes dans la salle, ils se sont rendus en Avignon en juillet dernier pour sélectionner une partie des spectacles. Ils peuvent donc parler de ce qu'ils ont vu, aimé, remarqué, admiré et ils le font avec passion.
Et comme ils sont convaincants... on se demande en sortant quel spectacle on pourrait ne pas aller voir.
LE PROGRAMME
Honneur au Théâtre de La Lucarne
C'est traditionnellement au metteur en scène de La Lucarne que revient le privilège d'ouvrir la présentation. Il est bien évident qu’à cet instant les habitués du Festival pensent à Claude Domenech. Et les mots de Serge Vinson, qui succède à Claude dans son rôle de metteur en scène, font écho à leurs pensées : « C'est pour moi un moment d'émotion, car Claude Domenech a été présent pendant notre travail de l'année. Il n'a pas collaboré au spectacle, mais il était là. La troupe a eu à cœur de poursuivre ce qu'il avait initié, de maintenir le lien entre le théâtre et les Coyens. »
Pour beaucoup de personnes dans la salle, Claude est là aussi, dans ce théâtre, sur ce plateau. Elles se réjouissent que La Lucarne poursuive la tradition en faisant avec deux pièces l'ouverture et la clôture du Festival.
Le vendredi 15 mai : La Mandragore, de Machiavel
« Nous avons pris cette pièce, dit Serge Vinson, comme une comédie italienne. Le machiavélisme est là bien sûr, la manipulation pour que le jeune homme arrive à ses fins et séduise la jeune fille, quels que soient les moyens à employer. Mais ce n'est pas une pièce didactique. C'est un spectacle tout public, léger, coloré, avec un peu de grâce, de commedia. Il faut de la légèreté pour ouvrir le Festival. »
Samedi 30 mai : L'Hôtel des deux mondes, d'Éric-Emmanuel Schmitt
Certes, on fait du théâtre de narration, de l’introspection, poursuit Serge Vinson, mais cette pièce est remarquable, car la vie est présente sur scène. Dans un espace indéfini, des gens se croisent, se rencontrent, vont s'aimer. C’est un carrefour dans la vie des personnages. Le ton est plutôt gai et l'on se projette dans un avenir favorable.
Samedi 16 mai : Les Cavaliers, d'après Joseph Kessel
Atelier Théâtre Actuel, mise en scène Éric Bouvron et Anne Bourgeois.
On pouvait craindre, dit Jean-Claude Grimal, une adaptation de ce grand roman d'aventures dont l'action se déroule dans les steppes d’Afghanistan. Comment rendre l’espace palpable, comment faire voir les chevaux au théâtre ? Et pourtant, ce fut un grand coup de cœur pour ce voyage long et périlleux d'un jeune afghan qui, la jambe brisée, avec son cheval et un serviteur, retourne dans sa province natale. L'accompagnement sonore est magnifique. Jean-François Gabillet ajoute : "J'étais sceptique, mais c'est le miracle! La pépite d'Avignon."
Lundi 18 mai : Cinq jours en mars, de Toshiki Okada
Compagnie des Lucioles, mise en scène de Jérôme Wacquiez.
L'auteur, commente Jean-Claude Grimal, est joué dans le monde entier, très connu pour son théâtre dansé.
L’argument : En mars 2003, quelques jours après la guerre déclenchée par les Américains en Irak, deux jeunes gens se rencontrent dans un concert à Tokyo. Ils s'enferment ensuite cinq jours à l'hôtel. La pièce montre cette génération que l'on a appelée Y, ultra connectée, hyper branchée en nouvelles technologies. En même temps des êtres changeants, sans entrailles, sans projet à long terme.
Jérôme Wacquiez a vécu trois ans au Japon, a travaillé dans le théâtre japonais traditionnel et contemporain. Sa mise en scène est percutante, les mouvements sont une chorégraphie. On est embarqué par ces jeunes acteurs très dynamiques.
Le Japon entre tradition et modernité
En lien avec cette pièce, avant le Festival, ajoute Jean-François Gabillet, des animations diverses autour du Japon auront lieu au Centre culturel Marguerite d'Ambreville de Chantilly, dans les bibliothèques de Chantilly et de Coye-la-forêt : projections de films, conférences, débats, présentations de livres, etc.
A Coye, notamment :
- un atelier manga à la bibliothèque, le jeudi 14 mai à 14h30
- projection du film "Quartier lointain", de Sam Garbaski, adaptation du manga de Jiro Taniguchi, le 24 mai à 21h à l'école du Centre
- au Centre culturel de Coye, conférence débat le 10 mai à 16h, avec Jérôme Wacquiez, entre autres intervenants.
Mardi 19 mai : Mémoires d'Hadrien, d'après Marguerite Yourcenar
Compagnie Bacchus. Adaptation et mise en scène : Jean Pétrement
Sylvie Grimal exprime son enthousiasme sur la manière raffinée dont le metteur en scène a fait vivre la langue superbe de Marguerite Yourcenar. De remarquables décors, différents lieux dans l'espace. Des acteurs chevronnés.
Le roman historique se présente comme la lettre que le vieil empereur écrit à Marc Aurèle son jeune successeur. Pour théâtraliser le roman, le metteur en scène a su créer des enjeux dramatiques avec des personnages auxquels on croit, Antoine le secrétaire, Elixia, la jeune esclave. Un spectacle "riche pour le cœur et l'esprit".
Mercredi 20 mai : Souterrain blues, de Peter Handke
Compagnie La Bataille, mise en scène d'Hervé Bazin.
Un grand auteur contemporain qui a obtenu de nombreux prix littéraires en Allemagne et en France, qui a signé des scénarios pour Wim Wenders.
Un homme monte dans une rame de métro et interpelle, accuse, attaque ses contemporains. Leur médiocrité le rend fou de rage. La mise en scène choisit le dépouillement, car le texte est un uppercut qui ne doit pas buter sur un décor, souligne Jean-Claude Grimal.
L'acteur, Yann Collette, est un interprète majeur du théâtre contemporain, qui a travaillé avec les plus grands et s'est produit sur les prestigieuses scènes parisiennes. Il joue aussi pour le cinéma dans des rôles souvent inquiétants, liés à un visage expressif qu’on n’oublie pas et qui trouble.
Jeudi 21 mai : De quoi parlez- vous? D'après Jean Tardieu
Compagnie C'est-pas-du-jeu, mise en scène de Sophie Accard.
Un vrai bonheur! annonce Jean-François. Un véritable festival du langage. Chaque pièce aborde un trouble du langage différent et nous emmène dans un monde loufoque, décalé, surprenant. Des acteurs jeunes qui savent tout faire. Un régal pour les yeux aussi. Le rythme est enlevé. Dérision, poésie, subtilité.
Vendredi 22 mai : Le porteur d'histoire, d'Alexis Michalik
Diffusion Mises en Capsules, mise en scène d'Alexis Michalik.
On entre là dans un feuilleton littéraire haletant. "Une chasse au trésor à la Dumas."
Une nuit pluvieuse dans les Ardennes, le personnage découvre un carnet qui l'entraîne dans une aventure à travers tous les continents. Cinq acteurs excellents portent cette première pièce d'Alexis Michalik, qui assure aussi la mise en scène et a obtenu deux Molière en 2014.
"Un ovni théâtral", dit Jean-François. C'est un vrai cadeau qu'il soit là!
Samedi 23 mai : Un Fil à la patte, de Georges Feydeau
Compagnie Viva La Commedia,
Adaptation et mise en scène d'Anthony Magnier.
La machine Feydeau va à toute allure et demande aux acteurs un engagement total. Tous les ingrédients du vaudeville sont rassemblés. La troupe d'Anthony Magnier est déjà venue à Coye, toujours avec succès : Les Femmes savantes en 2011, Cyrano en 2012. On pleure de rire, dit Jean-François. Christian Heck, sociétaire de la Comédie française, dans le rôle de Bouzin est irrésistible.
Lundi 25 mai : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort
D'après Andromaque Jean Racine
Théâtre Silvia Monfort et En votre Compagnie
Mise en scène : Néry
Une remarquable adaptation de la pièce de Racine, l'objectif étant de la rendre accessible au non-initié en expliquant les enjeux. Progressivement on lui lâche la main et il entre dans le texte. "Une époustouflante leçon de théâtre".
Mardi 26 mai : Oblique, de Christophe Moyer
Compagnie Sens Ascensionnels
Mise en scène : Christophe Moyer
Les Obliques, peuple agité du bocal, vivent au bord d'un lac qui se vide peu à peu...
Jean-François l'assure, les enfants vont rire, et nous aussi, avec cette fable écologiste, brillante et drôle. Tout un dispositif occupe la largeur de la scène, digne des Shadocks.
C'est drôle, ingénieux, et parle à la part la plus sensible de notre humanité et de notre intelligence, souligne Sylvie qui donne une mention spéciale à une « vidéo de petits dessins animés qui sont de véritables bijoux ».
Mercredi 27 mai : La Peur, de Stefan Zweig
Compagnie Carinae et Atelier Théâtre Actuel
Mise en scène : Elodie Menant
Une femme, bourgeoise comblée, se distrait avec un amant, un jeune pianiste. Elle rencontre ensuite sa femme qui, en proie à la jalousie, la harcèle.
La très belle écriture de Stefan Zweig, l'analyse subtile des comportements humains sont servies par une mise en scène qui emprunte beaucoup à Hitchcock. Cherchez les indices !Le spectateur est "voyeur" de la descente aux enfers de cette femme. "Du grand art", dit Jean-Claude.
Jeudi 28 mai : Blackbird, de David Harrower
Compagnie Impact Groupov et Théâtre de Liège
Mise en scène : Jérôme de Falloise, Sarah Lefèvre et Raven Ruelle.
Un huis clos saisissant. Il a passé six ans en prison, elle est restée enfermée dans l'enfer moral de sa famille, de son quartier. Dans un hangar, ils se retrouvent des années après. Le décor est habité par les métaphores de la langue et tout un univers sonore.
Une vraie réflexion, dit Sylvie, sur la morale, les mensonges. Un thriller captivant et une descente dans les profondeurs de l'humain.
Vendredi 29 mai : Prêt-à-partir, de Fabio Gorgolini et Fabio Marra
Compagnie Teatro Picaro
Mise en scène : Fabio Gorgolini
Une fable comique et mordante.
Quatre comédiens ambulants et leur roulotte. En forêt, une roue de la roulotte se casse. On assiste donc à la répétition d'une histoire rocambolesque. Une roulotte magique qui se transforme, un spectacle échevelé, et une très belle esthétique, souligne Sylvie Grimal, à qui revient de dire le mot de la fin: "Lisez le programme, découvrez, prenez des risques."
LES DISCOURS
A l'inauguration du Festival, les "personnages officiels" donnent aussi leur représentation, et viennent sur scène pour saluer la longévité et la qualité de cette fête annuelle du théâtre en Picardie, féliciter les organisateurs et formuler de bons vœux.
Jean-François Gabillet, le président, accueille les hôtes et remercie les différentes collectivités qui apportent une aide financière indispensable : la commune de Coye-la-forêt, le Conseil départemental, l'Aire cantilienne et le Conseil Régional. Il n'oublie pas la dizaine de donateurs ou mécènes qui contribuent à la fête du théâtre et dont les logos figurent sur le programme.
François Deshayes, maire de Coye-la-forêt, dit son plaisir de voir "le théâtre venir à nous", et salue un des rares festivals à être entièrement organisé et géré par des bénévoles, pour lesquels il demande et obtient des applaudissements. Cette année, ajoute-t-il, des travaux ont été faits, d'abord de véritables loges pour les comédiens, ensuite la rénovation de la salle 3 tout juste prête pour l’installation du buffet.
Madame Ladurelle, nouvelle conseillère départementale, Madame Martin, conseillère régionale et Éric Woerth, président de l’Aire cantilienne, affirment ensuite leur soutien au Festival, ce dernier ayant la délicatesse de rappeler le rôle qu’y a joué Claude Domenech pendant plus de trente ans.
Sylvie Marié, spectatrice du Festival depuis des années, se lève alors, surprend l’auditoire un peu assoupi et, à voix haute et claire, s'adressant à tous, lance cette phrase que nous sommes nombreux à avoir pensée et dite à voix basse : "Je ne peux quitter cette salle sans qu'un hommage soit rendu à Claude Domenech. Ici, j'ai besoin qu'on l'entende."
Et François Deshayes de demander à la salle de se lever et d'applaudir.
Une minute pour Claude. Une minute pour celui qui a installé le Festival à Coye.
PV – Vieux mots tard que j'aimais...
Imaginé, écrit et mis en scène par Jacques Bona avec le concours de quatre comédiens du Théâtre de La Lucarne, un court intermède crée la diversion. L'an dernier, la veille de Pâques, Jacques, qui aime à rire, avait fait apparaître Jésus sur la croix. Cette année, c'est Paul Verlaine, que l'on a peine à reconnaître sous les traits d'un gigolo qui se pique à l'héroïne sous l'œil des clients d'un café de la France profonde!
Geoffroy Poncelet joue le poète inspiré et maudit, motard sexy dans sa panoplie noire – blouson, casque, lunettes – auquel ne résiste pas l'aguichante tenancière de l'estaminet, Claude Samsoën, envoûtée par les improvisations poétiques du jeune Paul ; Pierre Debert et Serge Vinson, en habitués du comptoir, commentent les frasques et les poèmes de Paul ainsi que les amours de sa protectrice. Une soirée poésie est même organisée par la maîtresse des lieux qui se pique dorénavant de culture. Les villageois s’y pressent (la figuration est toute trouvée, c’est l’équipe du festival !)
Mais on soupçonne Paul de tricher pour profiter des largesses féminines : l’abondance de sa production poétique lui viendrait d’un walkman – on prononce walqueman dans ce café picard – caché dans son casque de motard ! Tout cela finit mal, on s'en doute, par coup de couteau et exhibition sur le plateau d'un morceau de chaire sanguinolente difficilement identifiable et dont on nous dit qu’il s’agit d’une langue!
Joyeux moment, parodie, anachronisme, jeux de mots... et la poésie de Verlaine choisie par Jacques Bona, vers échappés, dit-il, de textes peu connus du poète et que pouvait (peut-être) reconnaître l'oreille exercée de tout spectateur du Festival.
Après rires et applaudissements nourris, l’assemblée migre vers le buffet de la salle voisine où les attend une abondance d’amuse-gueule, de petits fours et de gâteaux.
Et maintenant, à nos réservations… Plus un moment à perdre ! La fête commence dans trois semaines.
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