LES CAVALIERS
D’aprèsJoseph Kessel
Atelier Théâtre Actuel
Mise en scène : Eric Bouvron et Anne Bourgeois
Comédien formé en Afrique du Sud puis auprès d’Ariane Mnouchkine et Peter Brook, Eric Bouvron a mis deux ans à sculpter dans la masse d’un roman de 800 pages ce prodige de spectacle - mis en scène avec Anne Bourgeois - qu’il porte de bout en bout avec Grégori Baquet, Molière 2014 de la révélation théâtrale masculine, et Maïa Guéritte.
Eric Bouvron incarne Ouroz, fils du grand Toursène, qui doit participer au plus grand tournoi d’Afghanistan : le Bouzkachi du roi, une course violente où tous les coups sont permis. Dès le lever de rideau, la scène du centre culturel s’élargit à l’infini des steppes, dans une lumière brutale, poudreuse - vraie lumière du désert. Les éclairages de Stéphane Baquet dilatent l’espace, suggèrent jusqu’au sang qui gicle sous les coups de cravache, tandis que l’incroyable bande son déroulée sur scène par Khalid K, l’homme orchestre, transforme les tabourets en étalons écumants, fait rouler les pierres, souffler le vent, claquer les fouets, chanter l’Hindou Kouch et le muezzin... L’épopée dans les montagnes hostiles est suggérée, mais avec quelle force ! En un instant, ces Cavaliers s’enracinent dans l’imaginaire du spectateur et l’emportent en un galop furieux aux odeurs de cheval et de charogne...
Au moment où Ouroz, monté sur Jehol, vole vers la victoire, son mythologique cheval trébuche. Le fils de Toursène se casse la jambe et voit la victoire lui échapper, tandis qu’un autre cavalier de la tribu de Maïmana le remplace sur le dos du cheval fou et remporte la course.
L’histoire commence à peine, car la compétition au cœur du récit de Kessel est bien loin de se résumer à un affrontement entre un Ben Hur des steppes et un Messala kabouli. Le véritable affrontement met aux prises le jeune homme torturé et son père, dur et abrupt comme un bouddha de Bamiyan qui refuse de diminuer pour le laisser grandir. L’amour, la haine que ces deux-là se jettent à la tête comme une carcasse de bouc, sont à la mesure de cette terre brutale : sentiments ambivalents, exacerbés, d’une violence extrême.
Humilié par sa défaite, Ouroz, pris d’une rage autodestructrice, s’échappe de l’hôpital de Kaboul. Refusant de rentrer avec le vainqueur à bord d’un camion, il entraîne alors son cheval et son fidèle serviteur Mokkhi dans une Odyssée initiatique à travers les montagnes, qui met à chaque instant leurs vies en péril.
Préférant mourir que de devoir affronter le mépris de Toursène, Ouroz se met encore en danger en léguant malicieusement Jehol à Mokkhi par testament. Dans ce désert, le serviteur, qui n’est pas Jésus-Christ, succombe d’autant plus facilement à la tentation qu’une Circé pragmatique, rencontrée en chemin, s’emploie à le changer en loup. Ouroz, qui se joue de Mokkhi avec une délectation perverse, déchaîne la fureur du couple en jouant son cheval sur un combat de béliers hasardeux, qui révèle pourtant son intelligence de stratège. La fortune qu’il remporte exacerbe encore la cupidité de Mokkhi et Zéré, maintenant prêts à le tuer pour récupérer Jehol, synonyme pour eux d’un avenir assuré. Leur tentative d’empoisonnement est déjouée par Ouroz qui les fait prisonniers. Finalement amputé d’une jambe, il revient en fils prodigue retrouver son père, qui abdique et le laisse prendre les rênes de son destin. Ouroz pardonne à Mokkhi et lui offre Jehol, que celui-ci lui revend pour pouvoir se marier. Monté sur son cheval fou, le cavalier infirme va surmonter son handicap pour égaler avec encore plus de mérite la gloire de son père dans les Bouzkachis du roi. Libérée, l’énergie qui le détruisait le propulse dès lors dans un tourbillon de lumière, de galop et poussière, où le spectateur le regarde s’éloigner avec admiration...
Molière 2016 du théâtre privé
Galerie Photos : LES CAVALIERS D’après Joseph Kessel
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