Mais du soleil, que reste-t-il ?
Maurice Genevoix
D’après Les Éparges (1923)
et La mort de prÈs (1973)
Compagnie 25 ter
Mise en scène : Géraud Bénech
La guerre, toujours la guerre, mais pas n’importe laquelle, la grande, celle de 14-18 avec ses millions de morts et ses si nombreux mutilés…
Samedi 30 janvier, dans la salle Claude Domenech, la guerre était à nouveau d’actualité avec une adaptation, par la Compagnie 25 ter, de deux livres de Maurice Genevoix, « Les Éparges », et « La Mort de près ».
Cet auteur, aujourd’hui un peu oublié (1890-1980), connut le succès entre les deux guerres, notamment avec la publication de « Raboliot » qui obtint le Prix Goncourt en 1925. Il entra à l’Académie française en 1946. La plupart de ses ouvrages se passent en Sologne et sur les bords de la Loire où il naquit.
Normalien en 1914, il fit partie de la cohorte des jeunes officiers qui périrent en grand nombre dès les premiers combats. Lui fut grièvement blessé le 25 avril 1915 à la tête de son groupe de fantassins parti à la problématique conquête d’une colline des bords de la Meuse. Cet épisode, qui aurait pu lui coûter la vie, il le raconta dans un premier livre en 1923, « Les Éparges ».
Cinquante ans après, il reprit le même sujet mais de façon apaisée, méthodique, on pourrait presque dire clinique, ce qui le rendit encore plus accablant pour cette horrible guerre. Des deux œuvres nait alors un dialogue entre l’écrivain qu’il est devenu et le jeune officier qu’il fut en son temps.
C’est l’utilisation de la dramaturgie créée par le chassé-croisé entre les deux hommes qui constitue le fond de la pièce. Après un début un peu difficile, les deux interprètes trouvent le ton juste et nous entraînent avec eux dans une atmosphère parfois glaciale, parfois violente, parfois apaisée, soutenus par une mise en scène dépouillée mais efficace (musique, lumière, coups de canon). Bravo pour l’interprétation du jeune officier, Rémy Chevillard, en tenue de campagne — chemise blanche salie, casquette et pantalon gris et tachés — représentatif de ce que l’on sait des soldats qui vivaient dans la boue et le froid des tranchées. Stanislas de la Tousche évoque avec sincérité la vieillesse de Maurice Genevoix, dans sa veste de tweed, à l’abri de son bureau d’écrivain. Eternelle confrontation entre ce que l’on était et ce que l’on est devenu.
A la fin du spectacle, pendant un échange entre les comédiens et le public, quelqu’un a posé la question : « Fallait-il choisir un tel sujet ? La guerre n’est-elle pas suffisamment présente aujourd’hui ? » Pour ma part, je réponds tout de suite « Oui. » Oui, il faut continuer à faire « la guerre à la guerre » sous toutes les formes possibles et notamment par le moyen du théâtre.
Lorsque je suis arrivé à Coye en 1973, un vieux Coyen m’a dit : « J’étais gamin le 11 novembre 1918 le jour de la signature de l’armistice. Avec mes copains on a confectionné une pancarte portant l’inscription « Plus jamais ça » et nous avons fait le tour du village en criant et en chantant. » Pourquoi cet épisode m’est-il revenu en mémoire à l’occasion de cette pièce ?
Vous penserez sans doute comme moi, c’est parce qu’il y a encore beaucoup à faire…
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2 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Commentaire de: DLM Visiteur
Nous avons passé une très, très bonne soirée. La richesse du texte, la mise en scène, le mélange des deux comédiens, on a été complètement embarqué dans les tranchées comme si on regardait un film. Un coup de force.
J’ai été bouleversée par cette interprétation, cette mise en scène, si dépouillée et pourtant, on avait tant d’images !
Genevoix était officier, il était responsable, il acceptait le principe de la guerre, il y accomplissait consciencieusement le rôle qui était le sien. Aucune révolte dans ses propos. Un mot pourtant dans le spectacle se fait entendre plus que tous les autres, non pas comme un cri de colère ou de protestation, mais comme un constat : c’est le mot absurdité. Lui, Genevoix, s’en est sorti, d’autres, innombrables, sont tombés. Peut-être qu’au bout du compte, cela n’a aucun sens. Ou peut-être que justement le seul sens que l’écrivain puisse donner à sa survie, c’est de témoigner et de sortir du néant ceux qui sont morts à ses côtés.
Particulièrement évocatrice et forte, quand plus rien n’a de forme ni de couleur, la scène où les deux comédiens emmêlés en une grande confusion de bras, de jambes, de têtes et de torses, se soutiennent, s’entraident, se tordent, s’agrippent l’un à l’autre, s’écrasent et se portent, se traînent, en un effort désespéré, dans ce moment douloureux entre tous, où, après l’assaut, les blessés et les mourants abandonnés sur le champ de bataille gémissent, appellent au secours, implorent les brancardiers, implorent encore, cherchent l’issue.
Absurdement Genevoix s’en sort.
J’ai été émue de voir mon fils jouer aujourd’hui sur scène le rôle que tenait mon grand-père dans la vraie vie il y a cent ans. Lui aussi en était revenu, quand tant d’autres y sont restés.
Tous ces noms qui s’énumèrent, la longue liste des morts pour la France, ces noms qui n’en finissent pas de s’égrener, on ne peut pas oublier qu’ils désignent des hommes qui furent bien vivants, des hommes de chair et de sang, des hommes jeunes qu’on a connus, qui avaient un visage, une voix, un sourire, des hommes qu’on a aimés…