Le printemps ne fait pas le bonheur
Y’a du soleil! Y’a du soleil! Y’ a du soleil et des oiseaux! Les petites fleurs montrent leurs museaux sous les fourrés touffus du petit bois derrière chez moi. La voisine chante en rangeant sa terrasse. Telles des feuilles emportées par le vent, les masques sont tombés du nez des gens. Les sourires refleurissent indécents, à la moustache des agents. C’est le printemps. Ma femme est une reine. Un air adolescent joyeux et insolent rafraîchit le petit vent coulis qui court le long des quais. Même en tendant l’oreille, on n’entend pas encore le sourd fracas des horreurs de l’Ukraine. Des papillons citron volètent allègres. Les femmes embellissent. Celle-ci a guéri de ses nuits d’insomnie. Celle-là m’a écrit qu’enfin raisonnable, elle faisait la folie d’attendre un bébé. Chez nous, ça va encore. Si les poussettes sont vides sur les marches cahotantes des escaliers d’Odessa, si la planète gémit sous les coups du climat, chez nous, ça va. C’est le printemps, le temps des promesses. Les présidentiables nous augurent mille fleurs et autant de new deals. Ils nous endorment de leur «quoi qu’il en coûte» sans préciser qui va payer. Ils repeignent au vin blanc les écrans médiatiques pour que nos cerveaux brouillés soient capables de voter. Nos mains ne trembleront pas au-dessus de leurs urnes. Après on oubliera. Il suffira d’un match, d’une course ou d’une autre olympiade, pour que le peuple ait son content de jeux. Et tant qu’il a encore du pain chez nous, ça ira bien. Le printemps renaît et redonne de l’espoir à l’humanité. Heureusement il y a les jonquilles, les renoncules et les anémones. Et puis il y a Marina Ovsiannikova. Si blonde, si russe, cette journaliste a dénoncé durant le journal télévisé le plus suivi de Russie la guerre inique de Poutine à l’Ukraine. Faisons en sorte que le monde entier connaisse son nom et salue son acte d’un courage fou. Les mots font des trous dans les drapeaux. Le monde est à laver du sang de ses martyrs, les hommes au champ d’honneur, les femmes à celui du déshonneur et les enfants sous les gravats de leurs vies avortées. Les hommes se tuent et s’entretuent, il ne faut pas que les femmes se taisent. Ainsi pour relever la tête, pour épanouir la corolle, pour prendre son envol et croire encore à l’humanité de l’Humanité, il nous faut des milliers, des millions, des milliards de Marina Ovsiannikova ! N’hésitons pas à nous souvenir de son nom.
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