La tomate
Trop de mauvaise humeur tue l’humeur et lasse le lecteur. Trop de dégoût du monde empêche les rêves des enfants et étouffe les rires des jeunes filles en fleur. Nous n’avons pas le droit de sacrifier l’espoir. Alors il faut regarder derrière dans les souvenirs des printemps vrombissant d’abeilles et des étés en bord de mer quand le sable brûlant réfléchissait les jeux du soleil. Il faut feuilleter en arrière les albums des petits bonheurs, de ces moments d’ennui merveilleux des adolescences du passé. Souvenez-vous des premières gorgées de bière et, roulant entre les doigts, la fraîcheur des petits pois dans la passoire. Tiens, il y a eu cette tomate chaude et tendre. Ma sœur et moi avions décidé du haut de nos dix ans de marcher tout droit jusqu’à la colline là-bas, fascinante pinède bleue enserrée par une longue muraille que nous discernions nettement dans le soleil rose du matin. Elle s’appelait « Les Bois-Murés » et gardait tout son mystère pour nos fantasques esprits enfantins. Nous avions marché tout droit à travers des pierriers déjà chauds, des prairies d’herbes folles jaunies par l’été et des vergers ombragés. Alors que nous longions son potager, un vieil homme nous arrêta de quelques mots chantants pour nous offrir une tomate qu’il cueillit à ses pieds. Nous la gardâmes à la main jusqu’à trouver un trou d’irrigation en bas du mur des Bois-Murés qui nous laissa juste la place de nous faufiler à l’intérieur. Ah ! Cette tomate ! Toute tiède, poivrée et juteuse à nous couler sur le menton. Assis derrière un fourré, inquiets du moindre bruit qui aurait pu évoquer l’arrivée du garde-chasse, nous avons trouvé dans cette tomate le jus de la vie, le sang de la jeunesse et quelque chose comme un petit élixir de bonheur. Nous sommes rentrés soulagés d’avoir vaincu nos petites peurs d’enfants, un peu ivres du chant des cigales, marchant tout droit vers le toit rouge de la maison là-bas, fiers de suivre la boussole des oiseaux qui ne se perdent jamais dans le bleu de la Provence estivale. La vie garde dans nos mémoires des éclats de soleil et de rires qui font oublier les grands petits hommes, ces puissants impuissants qui détruisent la planète et l’humain de l’humanité. Cultivons nos souvenirs tels des graines de joie, des semences de bonheur dans l’espoir que cela repousse un jour, petites pousses vertes entre les pierres et les gravats des guerres.
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