HÔTEL DES DEUX MONDES
D’Éric-Emmanuel Schmitt
Théâtre de La Lucarne
Mise en scène : Serge Vinson
Le Théâtre de La Lucarne clôt les soirées du 34° Festival sous les applaudissements enthousiastes d'une salle comble. Succès donc pour Serge Vinson qui a assuré la mise en scène et créé un décor étonnant, ainsi que pour les comédiens, convaincants et alertes.
Éric-Emmanuel Schmitt situe l'action dans la « salle de réception d'un hôtel ».
Ici, le choix scénographique confronte le spectateur, dès l’ouverture du rideau, à un univers énigmatique, hors du temps, hors du monde. Tout sauf un hôtel, même si la pièce ressemble à un salon confortable, avec fauteuils, table basse, bureau d’accueil. Plutôt une unité de soins psychiatriques ou un hypothétique salon d’accueil avant bloc opératoire. Car les lieux sont blancs, murs blancs capitonnés, mobilier blanc, blouses blanches, cela sent l’asepsie. Le spectateur, intrigué, devine peu à peu qu’il se trouve dans un endroit qu’aucun visiteur ne décrit, à plus forte raison s’il n’en revient pas, car on peut ne pas revenir de ce cocon blanc. Quelques carnets de voyage, laissés par ceux qui ont pu obtenir un aller et retour, en ont tenté une description, mais les témoignages ne sont pas concordants et la vérification impossible. Car c’est du coma qu’il s’agit. Le coma, un hôtel où séjournent ceux qui attendent.
La pièce place en situation de jeu dramatique plusieurs personnages qui ne se connaissaient pas ; les voici amenés, ou condamnés, à vivre ensemble quelques heures, quelques jours, voire quelques mois… Une sorte de « huis clos » provisoire, non pas entre morts, mais entre évadés de la salle d’opération.
Un personnel de service se déplace à pas feutrés, reste muet et répond par gestes aux clients inquiets – Adriana Arnaud et Jean Truchaud ont assuré leurs rôles avec la plus grande sérénité. Le directeur de l’établissement est un médecin qui ne soigne pas, le Docteur S. Isabelle Jacquet s’impose dans sa fonction : blouse blanche amidonnée, discrètes boucles d’oreilles, lunettes en main, derrière le bureau, imperturbable, d’une voix calme et ferme, elle répond aux doléances des comateux, tient les registres, convoque quand l’heure est venue pour le client de l’hôtel de quitter les lieux. Elle incarne le passeur de ce monde à un autre, la vie, considérée ici comme une seconde chance, ou la mort. Pour s’y rendre, un ascenseur, que le scénographe a reconstitué plus vrai que nature avec chuintements et portes coulissantes et qui occupe une place stratégique en fond de scène. Il ouvre ses portes pour déposer un nouvel arrivant, comme Julien, l’accidenté encore étourdi par le voyage. Ou quand l’Ultime Convocation arrive, il se referme sur le comateux qui y a été poliment prié d’entrer par le Docteur S. sans savoir si l’appareil montera vers un mystérieux au-delà ou descendra vers la terre. Frisson d’angoisse bien sûr, mais rien de sinistre cependant au pays du coma selon Éric-Emmanuel Schmitt, car le ton est souvent celui de la comédie.
Outre ces trois blouses blanches, qu’on pourrait appeler les « permanents » de l’hôtel, cinq visiteurs sont en transit : rouages de l’intrigue, comme les deux jeunes gens et le mage Radjapour, ou représentants des nantis et des humbles, comme le Président et la femme de ménage. La mort est accessible à tous : « Egalité : cela signifie que tout le monde est traité de la même façon. »
Des relations se nouent. On se présente, on se parle, on raconte sa vie, on s’oppose, on peut même vivre une histoire d’amour… comme ailleurs. Julien, l’homme des excès, qui a goûté à tout et s’est dépris de tout, découvre le sentiment amoureux, maintenant prêt à savourer la vie au moment où peut-être il la perdra. Laura, qui vivait en fauteuil roulant, jamais aimée, apprend au pays du coma le mouvement et le désir. Geoffroy Poncelet et Magali Gautier, pleins de vitalité, jeunes et beaux dans leurs jeux amoureux, nous font croire au coup de foudre… Leurs ébats émeuvent le faux mage, qui vit là depuis six mois, relisant le même journal. Grâce à ce personnage, et à Pierre Debert excellent dans cet emploi, le sourire traverse la pièce. Le sage a pris son temps pour connaître les hommes et il aime faire de l’esprit à leurs dépens. Le comédien en est ravi et, élégant avec son petit nœud papillon, la démarche légère, il se délecte à piquer sans méchanceté ses compagnons de voyage.
Pour compléter le microcosme, un Président caricatural : c’est le riche, le carré, le puissant, le méprisant, le borné. Frédéric Ménini le représente parfaitement, cravaté, imposant dans son costume trois pièces, le ton péremptoire. A l’autre bout de la chaîne, Marie, la femme de ménage. Usée, cabossée par la vie. Tout ce qu’il y a de pire elle l’a eu, en « torchonnant du chant du coq jusqu’au petit rôt du dernier. » Adélie Germain est touchante, mais, si fraîche et si jolie, elle ne ressemble pas à la pauvre Marie démolie par le travail, et heureusement pour elle !
Vous voyez donc que, selon Éric-Emmanuel Schmitt, dans le coma on ne s’ennuie pas puisqu’on y fait des rencontres et des découvertes sur la vie et sur soi. Pour un peu on demanderait à y séjourner, comme le mage qui s’y trouve bien, le temps de se mettre à l’abri des tourments terrestres. Pas de souffrances physiques, pas de contingences matérielles, pas de responsabilités. Une angoisse quand même, la peur de la mort. Personne n’entre dans l’ascenseur le cœur léger. La pièce est pourtant réconfortante car l’auteur y affirme le prix de la vie : « La vie est un cadeau qui est fait à tout le monde. Et la mort est également donnée à tout le monde. » La progression dramatique est là, les enjeux de vie et de mort étant posés, le spectateur s’attache aux personnages et s’inquiète du sort qui leur sera réservé quand ils prendront l’ascenseur pour partir. Nous en sommes tous là.
Galerie Photos : L’HÔTEL DES DEUX MONDES D’Éric-Emmanuel Schmitt
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1 commentaire
Commentaire de: EDDY Visiteur
Bonjour,
une interprétation qui fut un véritable régal!un public captivé ! quelle belle scène de clôture!En espérant revoir cette troupe brillante au festival 2016!!!bravo à l’interprète de Nathalie que je suis à chaque festival! un rôle à contre emploi interprété avec maestria ; décidément, quel talent!
Bravo à tous!