Un aveuglant clin d'oeil
Nous sortions du ministère de la santé et des solidarités, l’esprit troublé par une journée de discours somnifères sur la situation inclusive des personnes en situation de handicap et les barrières exclusives, tant numériques que verbeuses, contre lesquelles elles butent. Désespérant ressac des solitudes sur les récifs orgueilleux de la société des valides. Dehors un frais crachin d’hiver vernissait à peine le trottoir. En bas du perron, nous nous mélangeons les labradors noirs avec une charmante jeune femme blonde qui poussait sa poussette à bébé.
Les labradors aidant, la conversation s’écoule, bienveillante. Nous trouvant affables, elle nous accorde le récit d’une bonne part de sa vie. Elle vient d’accoucher du beau mastard rose qui dort dans la poussette de luxe qui doit bien valoir le prix d’une voiture d’occasion, certes pas la Porsche qu’il aura pour son bac à vingt ans, mais bon.
Elle tient ferme poussette et labrador et nous raconte son accouchement, les réactions agacées du mari dérangé au travail par le téléphone impératif, ses difficultés obstétricales et ses césariennes obligatoires, pour un troisième, ce n’est pas de chance, elle n’aura pas de fille… Le verbe facile et le visage pur aux yeux si bleus est empreint d’irréfragable certitude. Mon amie et moi n’étions pas pressés, tout embrumés par notre journée de studieuse réclusion administrative. Et puis, en guise d’envoi, elle lance: « Je vois bien d’où vous sortez, mais bon (montrant la volée de marches qui mène au ministère) Quand même, la vie n’est pas si difficile. Les Français sont tous une bande d’assistés ! » La cécité évidente de mon amie n’avait pas entamé son mépris pour l’assistance sociale et la solidarité nationale. Puis, la jolie jeune femme blonde a repris la laisse de son labrador et la barre de sa poussette de luxe pour continuer sa promenade de santé sur les trottoirs bien vernis du septième arrondissement. Pantois plus qu’agacés, nous l’avons laissée à son délire pour affronter le Paris des jours de pluie. Mais quel somptueux déni ! Pauvre riche femme blonde ! Mère au foyer, sous la charge de trois enfants en bas âge et d’un mari déjà bien agacé, elle se replie dans le mépris des autres, les pas comme elle. Elle ne voit pas, la jeune et jolie femme blonde, qu’elle a déjà tout renié de son indépendance, obligée de manger sa pitance au creux de la main de son maître. Le patriarcat cultive ses bandes d’assistées. A chacune sa cécité.
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Un fort joli texte !
Elle doit se sentir bien seule, cette femme qui se confie ainsi à deux inconnus, certes fort sympathiques.
Sait-elle que son riche mari connaît parfaitement toutes les combines pour obtenir des subventions dont il n’a pas vraiment besoin ? Sans parler des réductions d’impôts à la limite de la légalité. À chacun son assistanat.