Dans la peau de Cyrano et dans celle de tous les autres !
Quand on entre dans la salle après avoir franchi les frontières du passe sanitaire et du contrôle des billets, tout en discutant avec les amis retrouvés ou en faisant la connaissance de son voisin d'un soir, on jette un coup d'œil intrigué et curieux vers la scène et le décor qui y est installé. Aujourd'hui : une chaise quelconque, plutôt moche, sous une douche de lumière au milieu de l'espace scénique. Tapis noir. Rideau noir. C'est tout . Donc le spectacle reposera entièrement sur le jeu du comédien, lequel, on le découvrira, sera lui-même habillé tout en noir (la tenue neutre des profs et des élèves de théâtre) . On ne peut faire plus sobre en matière de décor et de costume.
Un texte en voix of pendant que le comédien s'installe dans l'obscurité la plus totale et hop, lumière, c'est parti ! et ça ne s'arrêtera plus jusqu'à la fin, dans un rythme éblouissant. La prestation de l'acteur est époustouflante : sans le moindre accessoire, Nicolas Devort joue tous les personnages – les élèves du collège, filles et garçons, le professeur de français qui anime le cours de théâtre, la psychologue scolaire –, se propulsant dans tous les lieux – le bureau de la susdite, la chambre de Colin, le hall ou la cour du collège, et bien sûr la salle de spectacle où se déroulent les cours (et en tant que spectateur on a presque envie de monter sur scène, sur le plateau comme on dit dans le métier, pour participer nous aussi au cours de théâtre, pour se transformer en différent de soi, s'épanouir, se révéler à soi-même et aux autres).
Ainsi Nicolas Devort joue-t-il une dizaine de personnages clairement différenciés, mais le plus étonnant c'est qu'il ne les incarne pas les uns à la suite des autres, mais tous en même temps, et c'est ça qui est stupéfiant : il jongle avec les personnages – les postures, les attitudes, les mimiques caractérisant chacun, chacune, ne durant souvent pas plus d'une seconde – et hop, c'est Co-colin, le timide qui bégaie, et hop ! c'est Maxence, l'intello maniéré, et hop ! c'est la séduisante Adélaïde , et hop ! c'en est un autre et un autre encore et hop, c'est le prof de français, monsieur Devarsot, dont le nom est un anagramme à peine déguisé du propre nom de famille de l'auteur-comédien, auquel il a ajouté les deux dernières lettres, A S, de son prénom : Monsieur Devort est de toute évidence un double de monsieur Devarsot et il est un as de la jonglerie théâtrale.
Mais la virtuosité, quand elle est gratuite, peut finir par être ennuyeuse. Elle est ici au service d'une belle histoire, émouvante, une leçon d'humanité qui réchauffe les cœurs. Le prof est sympathique, ouvert, bienveillant. Le prof est généreux, le comédien l'est aussi, et l'homme derrière le comédien. On sent qu'il a de la tendresse pour tous ses personnages. Même s'il se moque d'eux parfois, c'est toujours avec le sourire et sans méchanceté.
Rien n'est jamais pesant. Dans la discussion qui a suivi le spectacle, le comédien explique qu'il a été mis en scène par Clotilde Daniault, laquelle s'est montrée très rigoureuse afin de bien encadrer le jeu et d'éviter tout débordement et tout cabotinage. Il faut bien sûr que les personnages soient clairement caractérisés, mais sans pour autant tomber dans la caricature. Avec beaucoup d'élégance, tout en délicatesse, le comédien reste sur cette ligne de crête qui permet le rire sans la vulgarité, le comique sans lourdeur et l'émotion sans pathos.
Juste... j'ai regretté pour ma part que le comédien (n'étant plus cadré, vraisemblablement) revienne après le baisser de rideau, ce qui à mes yeux cassait la magie des saluts et la poésie de la pièce. Un tout petit bémol . Parce que pour le reste, c'était simplement formidable.
Puisqu'il se joue partout, courez voir ce spectacle, allez-y en famille, emmenez-y les enfants, les ados ! C'est un régal. À votre tour, vous direz merci ! Et sans doute ne faut-il pas rater non plus les trois autres spectacles avec lesquels Nicolas Devort tourne actuellement : «Le bois dont je suis fait»,«La valse d'Icare» et «Molière dans tous ses éclats».
Lien vers la galerie photo (autour de la scène) : Dans la peau de Cyrano De Nicolas Devort
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