CONVERSATIONS APRÈS UN ENTERREMENT
De Yasmina Reza
Par le Théâtre de la Lucarne
Mise en scène : Claude Domenech
Pour conclure en beauté le 30ème Festival théâtral, bien qu’il ne se termine effectivement qu’après les spectacles réservés aux scolaires, la troupe du Théâtre de la Lucarne a choisi d’interpréter la pièce à l’origine du premier succès d’auteur dramatique (1987) de Yasmina Reza Conversations après un enterrement. Depuis lors, cette actrice, écrivain, réalisatrice de films, metteur en scène a gravi les échelons d’une renommée mondiale jalonnée par de nombreuses œuvres telles que Art (pièce), Chicas (film), Dans la luge d’Arthur Schopenhauer (livre) et surtout Le Dieu du carnage (pièce adaptée à Broadway), objet de multiples récompenses, aujourd’hui portée à l’écran par Roman Polanski (le tournage de Carnage s’est terminé en mars 2011).
Yasmina Reza, femme auteur comblée d’honneurs, enviée, fait l’objet de commentaires plus ou moins dépréciatifs lui prêtant une physionomie d’auteur « boulevardier ». Le spectacle représenté samedi tempère cette opinion. L’histoire se passe dans une propriété familiale. Le décor est constitué de trois praticables de hauteurs différentes. Cette simplicité suggère différents lieux : l’endroit où se situe une tombe fraîchement creusée, le jardin, la terrasse, l’intérieur de la maison et même un chemin de campagne. Deux miroirs verticaux plantés comme des stèles contribuent à l’atmosphère méditative de l’ensemble et une fenêtre en partie ruinée témoigne d’une certaine désagrégation des liens et des murs.
Claude Domenech, dans sa mise en scène, a déroulé le ressort principal qui est la libération psychologique d’un homme prisonnier de l’image que son père avait de lui. Pour cet homme de lettres complexé, Axel (interprété par Frédéric Ménini avec une sensibilité d’écorché vif), cette libération sera le retour tant attendu de son inspiration littéraire, celle qui lui fera oublier toutes les rancœurs accumulées contre son frère aîné Nathan (Jean Truchaud).
En cohérence avec le titre, la pièce s’ouvre sur une scène d’enterrement, scène importante que la plupart des adultes ont eu à vivre : l’enterrement d’un de leurs parents. En l’occurrence, il s’agit de l’enterrement de leur père par ses deux fils et par sa fille. Les trois enfants sont entourés de l’oncle maternel et de sa femme récemment épousée, ainsi que d’une autre femme plus jeune dont la présence trouble l’intimité familiale. L’aîné des fils, Nathan, lit un écrit de jeunesse du défunt qui fait comprendre à la fois l’aspect dur et glacé que s’était donné cet homme pour échapper à ses souffrances d’orphelin meurtri par la guerre, et son espoir de se trouver une postérité heureuse en la personne d’un fils imaginaire qu’il appelle déjà Nathan. Ce texte bref est fulgurant et lyrique : il démonte l’a priori que l’on aurait pu concevoir contre son auteur et justifie son succès.
Liées, pendant les intervalles, par une sonate de piano schubertienne, les scènes se succèdent dans un rythme un peu lent « à la Tchekov », où le spectateur a la surprise agréable d’être amusé par des personnages colorés tels que le cynique oncle Pierre (Pierre Debert) dont l’humour et les histoires font mouche et son aimable épouse plus terre à terre Julienne (Danielle Larue). On comprendra vite qu’Axel , critique littéraire de profession, est torturé par plusieurs douleurs : la plus brûlante d’entre elles est avivée par la présence d’Elisa (Adélie Germain), son ancienne amante qui l’a quitté parce qu’elle était amoureuse du frère aîné, Nathan ; la plus ancienne est le souvenir de l’indifférence affichée à l’égard de son talent littéraire par son père, en opposition avec l’intérêt supposé du père pour le frère aîné ; la plus profonde est l’impuissance d’écrire le livre qu’il espérait être l’œuvre de sa vie.
Ces souffrances conduisent Axel à un comportement amer difficile à supporter par les autres, surtout par sa sœur Edith (Isabelle Jacquet) elle-même confrontée à la monotonie d’une existence peu gratifiée d’expériences amoureuses, probablement elle-aussi à la recherche d’un regard chaleureux de son père.
Ces souffrances conduisent Axel à un comportement amer difficile à supporter par les autres, surtout par sa sœur Edith (Isabelle Jacquet) elle-même confrontée à la monotonie d’une existence peu gratifiée d’expériences amoureuses, probablement elle-aussi à la recherche d’un regard chaleureux de son père.
Nathan, s’en tire mieux. Il affiche un équilibre fondé sur sa tranquillité d’esprit de fils aîné que son père a choisi. Elisa qui l’aime et qu’il aime sans le lui avoir vraiment avoué, provoque par ses faux départs successifs l’expression de la jalousie d’Axel ainsi qu’une certaine tension dans la famille.
L’affaire se résoudra dans une conclusion étrangement onirique où les amoureux feront aux autres le récit de leur séparation rêvée sur un quai de gare, puis de leur retour ensemble vers la maison familiale. Ce premier discours libèrera enfin la parole d’Axel dans un monologue où il célèbrera son retour à la vie normale et glorifiera la Littérature : « écrire, c’est aller quelque part où on ne va pas… »
La seule description du scénario ne rend pas justice à l’investissement talentueux de tous les comédiens de La Lucarne et de leur metteur en scène qui ont fouillé dans ce texte complexe et en ont exprimé le détail fait de sentiments subtils, de cocasseries soudaines, d’élans suspendus : mélange curieux d’humanité commune et d’étrangeté impalpable.
La seule description du scénario ne rend pas justice à l’investissement talentueux de tous les comédiens de La Lucarne et de leur metteur en scène qui ont fouillé dans ce texte complexe et en ont exprimé le détail fait de sentiments subtils, de cocasseries soudaines, d’élans suspendus : mélange curieux d’humanité commune et d’étrangeté impalpable.
Des applaudissements nombreux et mérités sont venus saluer cette nouvelle performance à l’honneur de la troupe coyenne.
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1 commentaire
Commentaire de: creton jerome Visiteur
Excellent spectacle , extrêmement bien interprété par les acteurs .
félicitations !!!