EX-VOTO
de Xavier Dürringer
par la Compagnie du Caméléon
Mise en scène : Christophe Luthringer
Gus et Léa se rencontrent dans les reliefs d’une fin de concert rock. Lui espère trouver dans débris un mégot marqué de rouge à lèvres, un parfum de femme… Elle cherche une gare pour dormir. Gus l’invite dans sa cagna, subjugué, aux petits soins. Léa s’émerveille : le pauvre logis lui semble un palais. Il y a même un magnétophone et toute la musique qu’elle aime. A deux voix ils se rappellent leur rencontre, comme tous les vieux couples qui se souviennent. « Moi, je me disais… » « Mais non, ça c’est pas passé comme ça… »
Le bonheur tranquille n’a qu’un temps. Un jour, l’appel du rock’n roll est le plus fort. Léa, qui ne sait pas encore qu’elle ne peut plus se passer de Gus, reprend son sac pour suivre la tournée de leur rockeur fétiche, Jeff Bailey. Pour Gus, pas question de la perdre : il plaque le minable boulot de laveur de voitures qui leur assurait le bifteck et l’accompagne.
L’histoire s’écrit en bande dessinée - bulles de lumière flottant dans le noir. Les têtes penchent dans les virages avec des sourires d’enfants ravis, la radio crache un vieux rock des familles et le road movie de ces amoureux de Peynet-punks prend doucement des allures de 37°2 le matin.
Naturellement, au bout de trois mois, ces deux-là n’ont plus un sou en poche et l’estomac dans les talons. Le stop ne marche pas. Le réservoir de la voiture est vide. Les nerfs sont à vif, les griefs fusent.
Planté là par Léa, qui le juge trop encombrant dans la galère, Gus siphonne une lichette d’essence et rentre à Paris la mort dans l’âme. Il n’a plus de boulot, plus de quoi payer le loyer, plus de femme, juste une vieille chanson nostalgique qu’il repasse en boucle en haut de son vieil escalier. Au bout de six mois, rien ne va plus. Même Jeff Bailey est mort. Léa la Pomponnette revient, mortifiée, gratter à la porte de Gus. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.
Le répit est de courte durée. Bientôt les huissiers, les gros bras, les jettent sur le trottoir avec leurs maigres effets. Devant leur lit, les voitures passent. Le monde autour d’eux tourne indifférent. Alors ils mettent cap au sud portés par le souffle de la liberté.
Ces deux êtres touchants survivent timidement dans les écarts de la société comme de petites herbes têtues dans les fentes des pierres. Ils se chamaillent. Surtout, ils s’aiment, se font du bien, ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. Et puis ils s’émeuvent et nous émeuvent de bonheurs simples, de petits riens : le couinement des essuie glace sur le parebrise, le feu d’artifice qui éclate, rien que pour eux, au ciel de la plage.
Le dépouillement de la mise en scène de Christophe Luthringer laisse le champ libre à l’imagination. Emporté par les sourires désarmants de Sandrine Molaro (Léa) et Vincent Kapps (Gus), on croit à tout ce qu’ils racontent, jusqu’à deviner dans le noir le liséré blanc de l’écume qui soupire sur le sable à leurs pieds.
Le destin a pour les innocents des prévenances protectrices : la société qui les ignore leur offre sans le savoir des feux d’artifice, un toit pour dormir. Ils ne font de mal à personne, ou si peu. Ne demandent pas grand-chose, sinon qu’on leur laisse gagner leur vie.
Mais là encore, il va leur falloir un coup de pouce du destin. Dans une petite chapelle de bord du mer, remplie d’ex-voto, Léa adresse un jour une prière à Sainte Rita, au cours d’une scène kitch, mignon et naïf.
La suite emprunte aux Valseuses : Léa et Gus s’introduisent dans une maison de vacances aux volets clos, sont réveillés un jour par une famille bien embêtée « Dis papa, pourquoi ils sont tous nus ? », et déménagent à la cloche de bois. Une voiture volée et leur road movie cabossé les mène sur la tombe du rocker inconnu qu’ils couvrent de roses après avoir fracassé les vitrines de tous les fleuristes du coin. Alors qu’ils s’endorment sur leur lit de pétales, le miracle espéré se produit dans une apparition d’un bleu de gyrophares. Panier à salade, commissariat, tribunal, travaux d’intérêt général : les voilà bientôt remis dans le droit chemin. Smicards comblés aux espaces verts, amoureux toujours, rebelles à jamais. Il en faut peu pour être heureux…
Galerie photos : EX-VOTO De Xavier Dürringer
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