LE GORILLE
D’après une nouvelle de Franz Kafka
par le Théâtre du Tournant et ID Production
Adaptation et mise en scène : Alejandro Jodorowsky
Vendredi 18 mai 2012, au théâtre de Coye-la-Forêt, un homme-singe tient le public en éveil durant 1h 10.
Il surgit de la salle obscure en claudiquant pour gagner la scène éclairée comme pour symboliser son passage de l’ombre à la lumière.
L’acteur Brontis Jodorowsky, en costume d’académicien, chapeau noir et cravate parme, conserve un faciès et une démarche simiesques.
La pièce, Le Gorille est une adaptation par Alejandro Jodorowsky d’une nouvelle de Kafka, Communication (ou Rapport) à une Académie publiée en 1917 dans la revue: Der Jude (le Juif). Le texte semble une inversion de La Métamorphose parue quelques années auparavant. Dans l’une, l’homme régresse à la condition animale en se transformant en insecte immonde, dans l’autre, l’animal sauvage s’élève à la condition d’homme.
Dans un long monologue, l’homme-singe relate les principales étapes de sa vie antérieure notamment sa capture en Côte de l’Or (Congo). Il garde des séquelles irréversibles de la cruauté humaine: une balafre au visage et une blessure à la hanche. Il revit aussi son voyage en bateau qui le conduit à Hambourg chez Karl Hagenbeck, directeur de cirque et marchand d’animaux. Son enfermement dans une caisse exiguë qui ne laisse pas passer la lumière du jour est une étape essentielle de sa maturation. Il découvre alors le sens du mot “liberté” ou du moins, celui d’”issue possible”. Grâce à la maltraitance des matelots, il évolue lentement et acquiert les coutumes humaines: fumer, boire, serrer la main, parler. Dressage à coups de fouet, humiliations seront le prix à payer pour accéder au rang des humains et aux plus hautes fonctions : directeur de Music hall, riche industriel, Académicien.
Le monologue théâtral permet la démultiplication des rôles et révèle ainsi le grand talent de l’acteur. Brontis, fort d’une expérience de 7 ans au sein de la troupe du Théâtre du Soleil excelle, mimant tour à tour : les matelots et le singe, le dresseur et le singe, le rentier dans son fauteuil… Il passe maître en gesticulations, acrobaties, grimaces, grognements et gémissements. La tonalité oscille du comique au pathétique.
Mais l’intérêt du spectacle tient aussi aux apports personnels d’Alejandro Jodorowsky qui enrichit le texte original de Kafka. À la problématique de la liberté, à celle des rapports maître –serviteur s’ajoute une dimension sociologique d’actualité. L’altérité est toujours mal comprise. Intégration est-elle égale à assimilation? Faut-il devenir exploiteur après avoir été exploité? Une belle image nous interpelle : ”il faut se fondre dans le paysage.”
“Je me suis fondu dans les Institutions” dit notre singe.
Et contrairement à toute attente, il se rebiffe - Qui êtes-vous pour me récompenser?- et annonce son désir de retourner à sa condition primitive. La pièce s’achève sur un cri réitéré :
“Je veux retourner”.
La mise en scène minimaliste laisse toute latitude à l’acteur pour un jeu expressif voire “expressionniste” remarquable.
Nous saluons sa performance. Son regard d’un bleu lumineux fascine. Nous savons que les singes ne portent pas de chevelure postiche (sauf au cirque!) mais les plus intelligents auraient-ils les yeux bleus?
Ce spectacle d’une grande qualité a été largement ovationné. A juste titre.
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1 commentaire
Commentaire de: Grand duke Membre
Je rentre tout juste de Coye-la-Forêt, où ce soir je n’ai pas assisté à
une pièce de théâtre mais à une conférence-spectacle d’une qualité rare:
“Le gorille” d’après une nouvelle de Kafka, adaptée et mise en scène par
Alejandro Jodorowsky, et jouée par son fils Brontis Jodorowsky.
Le public venu au théâtre ce soir est devenu public de la conférence, et a donc fait partie intégrante du spectacle. Moi, spectatrice devant
l’éblouissante démonstration, faite par l’acteur, de l’absurdité du “paraître", j’ai senti bien souvent réagir la partie reptilienne de mon
être,centre des émotions primitives, est-ce impudique de l’avouer et de
l’exprimer?
Oui, Monsieur Brontis Jodorowsky a réalisé une performance d’acteur
époustouflante où le mime, l’être et le paraître se confondaient de façon fascinante; la mise en scène, les bruitages, et les éclairages, tout, jusqu’aux saluts, a contribué à maintenir le spectateur dans la position inconfortable d’être tantôt voyeur, tantôt le reflet du miroir tendu par l’acteur.
Au sortir de la pièce, un public ravi, et j’en faisais partie, bien contente d’être venue ce soir découvrir une pièce et un acteur que je ne connaissais
pas.
Encore une fois merci aux organisateurs pour la qualité de leur programmation, et bon anniversaire à Monsieur Jean-François Gabillet, Président
du Festival Théâtral de Coye-la-Forêt, que le public a ovationné en ouverture de soirée.