La Voyante, de Jacques Bona
C’est de tradition, Jacques Bona nous réserve toujours une surprise pour l’inauguration du Festival, un intermède théâtral qu’il écrit et met en scène. On sait qu’il aime l’humour et le jeu avec les références littéraires et historiques. Ce fut encore le cas ce jour-là avec La Voyante où il convoque Samuel Becket, Alphonse Daudet, Georges Bizet et l’Égypte ancienne. Rien de moins !
Pour tester les pouvoirs d’une voyante, quelle meilleure énigme à lui soumettre que la disparition de celui que l’on attend depuis des dizaines d’années et qui reste introuvable : Godot ! Son fils, Godot Junior, se lance dans la quête. Bien embarrassé par la disparition inexpliquée de son père, il ose pénétrer dans l’univers ésotérique d’une voyante, dame S’meralda. Moyennant quelques espèces sonnantes déposées dans un pot, avec le concours d’un objet ayant appartenu au disparu — une laisse bien sûr, rouge — la femme de tous les pouvoirs consent donc à appeler Godot. Tout le public d’ailleurs appelle Godot… En vain, comme vous vous en doutez. Mais la medium est celle qui voit : « Je vois un homme grand et sec, cheveux blancs, costume gris, l’œil froid… » Et nous aussi, par contamination des illusions ! Comment oublier le regard de Samuel Becket ? Au fil des incantations et des invocations, grâce à l’œil clairvoyant de Ra et à la tête du cobra — il faut bien tout cela pour une telle fable — les visions conduisent vers un fameux moulin de Provence… vers cette femme d’Arles tant aimée et jamais vue dont Godot peut-être se serait épris. Ce qui expliquerait son impossible retour…
Pour conduire le public dans ce voyage au pays des illusions, Adriana Arnaud et Patrick Chevillard ont été d’excellents guides. La grâce de la gestuelle de l’une répondant à la maladresse appuyée de l’autre. Pauvre fils de Godot terrorisé par la voix magistrale et sonore de la voyante ! Un spectacle qui a joué sur les contrastes et les couleurs, robe noire qui virevolte légère, costume blanc étriqué qui bride le mouvement, brillance des accessoires, boule de cristal, couronne dorée du cobra, nappe d’une orangé chaleureux, étole argentée…
Un divertissement très réussi pour nous annoncer que pendant trois semaines à Coye-la-forêt nous vivrons dans l’illusion, avec des personnages que l’on aimera et qui disparaîtront comme Godot, nous laissant images, voix et mots… Ce n’est pas rien.
PARTAGER |
“La Voyante” doit beaucoup à l’investissement et au talent de ses interprètes Adriana Arnaud et Patrick Chevillard. Patrick a réalisé lui-même de précieux accessoires ainsi que “l’Oeil de Râ” en (faux) bas-relief vedette de l’affiche conçue aussi par lui. Merci également à Jacqueline et à Rémi qui ont apporté leur aide désintéressée. Mention encore pour l’artiste des lumières qu’est Franck Seigneuric qui a éclairé avec finesse et intelligence le petit spectacle.