Domaine des Trois Châteaux : La résistance
Mercredi 14 juin
Inhabituel de voir un tel rassemblement devant l’entrée du Domaine, rue de Chaumontel. Pourtant cela n’étonne pas vraiment. Depuis des mois, on entend dire qu’il est question de fermer cet établissement exceptionnel qui accueille en internat depuis 1945 des enfants en difficulté, leur assurant la meilleure scolarité possible ainsi qu’un encadrement bienveillant et attentif. Et chacun dans la commune de souhaiter que la menace se dissipe et que les administrations décisionnaires — la mairie de Paris, l’Association des Groupements Éducatifs1 et l’Éducation Nationale — retrouvent le chemin de la raison : au nom de quoi choisirait-on de priver les enfants des moyens de vivre une enfance protégée, de leur ôter cette chance de grandir et d’apprendre dans les meilleures conditions, entourés d’adultes disponibles pour eux ?
Une manifestation du personnel
Un pas est franchi ce mercredi matin. La menace de fermeture se faisant plus précise et plus pressante, le personnel du Domaine en grève manifeste son opposition et ses craintes pour l’avenir. Des banderoles devant l’entrée rappellent les revendications. François Deshayes, le maire de Coye-la-forêt est là, ainsi que Sophie Descamps 1e adjointe en charge des affaires scolaires, et le député, Éric Woerth.
Madame Chantal Place, déléguée syndicale de tous les services du Domaine, résume pour les présents — en nombre limité, car personne dans Coye-la-forêt n’a eu connaissance de ce mouvement de grève ni de la manifestation — les raisons de cette action et rappelle l’historique de l’Établissement.
Un internat scolaire éducatif
« L’œuvre interdépartementale de l’Internat Primaire et Professionnel a été créée à la fin du XIXe siècle par la Ville de Paris et le département de la Seine pour venir en aide à des familles en difficulté et pour favoriser la scolarité d’enfants ainsi que la formation professionnelle de jeunes en internat dit « de semaine ». Cette prestation « Internats Scolaires et Professionnels » (ISP) s’inscrit dans une démarche de protection de l’enfance et d’aide à la famille du département de Paris.
Aujourd’hui, avec une capacité d’accueil de 170 lits, le Domaine des Trois Châteaux est un internat scolaire éducatif appartenant à la Ville de Paris qui assure le financement et l’admission des enfants, ainsi que le suivi des familles. La gestion administrative relève de l’Association de Groupements Éducatifs depuis 1990.
L’Établissement accueille des enfants parisiens scolarisés du cours préparatoire à la classe de 3e. Il a en son sein une école primaire gérée par l’Académie de Paris qui peut accueillir 120 enfants répartis dans 7 classes. Les collégiens, quant à eux, sont scolarisés dans deux collèges de proximité, à Lamorlaye et à Chantilly. (…)
Une situation devenue inquiétante
« Depuis 2010, nous avons pu constater une baisse de l’effectif des enfants, beaucoup plus conséquente depuis 2012. En 1990, il y avait 170 enfants, en 2016 il n’en reste que 63. Depuis plusieurs années, l’Établissement a alerté les autorités responsables pour connaître et comprendre les raisons de cette baisse. Aucune réponse concrète n’a pu être donnée. (…) À l’heure actuelle, tous les salariés s’interrogent sur le devenir de leur Établissement, sachant qu’à la prochaine rentrée scolaire, l’Éducation Nationale a décidé de fermer l’école interne pour manque d’effectifs. Compte tenu du peu de collégiens et de la fermeture de l’école, le pôle ISP (Internats Scolaires et Professionnels) a réorienté les enfants du primaire dans leurs écoles de quartier et les collégiens dans d’autres internats et collèges de Paris. Ce qui veut dire qu’à la rentrée de septembre 2017 il n’y aura plus aucun enfant admis au Domaine des Trois Châteaux.»
La Mairie de Paris, un manque de considération
Par ailleurs, Chantal Place insiste sur la désinvolture avec laquelle salariés, familles et enfants ont été traités par la Mairie de Paris et les élus :
« Depuis le mois de février, ce sont les familles qui ont interpellé les éducateurs sur la fermeture de l’école interne, sur la réorientation des primaires et des collégiens, les directions n’ayant pas été informées au préalable par la Ville de Paris. Et nos 13 derniers collégiens n’ont pas reçu de courrier, mais ont eu un contact téléphonique de l’ISP pour les avertir au dernier moment de leur orientation sur Paris.
Il est tout à fait inadmissible de nous maltraiter de la sorte, nous sommes considérés comme des pions. Cette situation, qui reste encore floue et qui perdure depuis trop longtemps, quant à l’avenir de l’Établissement, met les salariés dans un état plus qu’anxiogène. »
La déléguée syndicale en appelle enfin à la maire de Paris pour qu’elle se positionne rapidement sur l’avenir du Domaine : « Cet établissement a des valeurs à défendre », au Président de la République car « notre action auprès des enfants en difficulté scolaire rentre dans son projet ». Elle tient à remercier en conclusion « toutes les personnes qui se mobilisent et sont venues nous soutenir », notamment ceux qu’elle appelle « nos jeunes anciens dont les messages de soutien font chaud au cœur. »
Le soutien des élus locaux
Pour lui répondre, François Deshayes explique à l’assistance qu’il a fait des démarches auprès de la mairie de Paris, de madame Dominique Versini, l’adjointe chargée des questions relatives à la solidarité, aux familles, à la petite enfance et à la protection de l’enfance. La réponse n’a pas été encourageante, celle-ci confirmant « qu’il y a trop peu d’enfants pour maintenir la structure. » Il est étonnant, ajoute le maire de Coye-la-forêt, que vu la taille de Paris il y ait aussi peu d’enfants qui aient besoin d’aide.
Éric Woerth exprime aussi son impuissance pour modifier le cours des événements, admettant que son influence sur la Ville de Paris est limitée, mais il connaît bien, dit-il, le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, et espère obtenir de lui une intervention fructueuse : « Il aurait peut-être des idées, c’est un homme ouvert et compétent. » À suivre…
Témoignages de familles
Des mères de famille sont venues de Paris pour témoigner :
« Je viens car mon fils est là depuis cinq ans suite à des difficultés familiales, je suis seule à l’élever et à faire face à tout. Un jour, j’ai dû le laisser seul deux jours pour aller travailler. Mon fils l’a signalé à la maîtresse, et une assistante sociale m’a proposé la solution de l’internat. Cela a été un soulagement. Mais toutes les mamans ne savent pas que cet internat existe et qu’il peut les aider. Les assistantes sociales ne le disent pas. »
« Avec cet internat qui va fermer, c’est le futur de mon enfant qui est en jeu. »
« Je suis désespérée, mon fils fréquente l’internat depuis quatre ans, je suis seule à l’élever. Il était heureux ici et moi je pouvais travailler. À ce jour il n’y a pas d’autre place pour lui, je ne sais où il ira en septembre. J’ai écrit à madame Hidalgo. »
Quelles autres options pour le Domaine ?
Monsieur le maire reprend la parole : « J’ai moi-même contacté les services de la Ville de Paris, je l’ai dit, sans obtenir de réponse. J’ai alors demandé à Éric Woerth de faire un courrier en février. La réponse nous est parvenue fin mai et confirme la fermeture de l’école primaire. En conséquence le Domaine ne pourra pas rester ouvert s'il n'héberge plus que 13 collégiens. Ceux-ci seront donc réorientés sur Paris.
Coye-la-forêt avait aussi suggéré de créer dans le Domaine un centre pour l’accueil et le traitement de personnes atteintes d’obésité. Cette option n’a pas été retenue.
L’AGE (Association de Groupements éducatifs) a parlé d’autres projets : accueil de migrants demandeurs d’asile, ou de personnes autistes. »
Tout a été dit… les banderoles sont repliées, rien n’est réglé et chacun repart avec son inquiétude.
La fermeture du Domaine des Trois Châteaux aurait de multiples conséquences. Elle mettrait en cause l’emploi d’une cinquantaine de salariés, elle renverrait les familles, souvent des femmes seules, à leurs difficultés, et elle créerait pour les enfants une situation déstabilisante en les privant d’un pôle rassurant nécessaire à leur éducation.
Le Domaine : un lieu pour les enfants
Il serait utile de rappeler l’origine de ce Domaine. L’association La Sylve a publié dans ses Petites chroniques de l’année 2015 le rapport d’un consul de Suède à Paris, datant de 1949, qui explique comment deux des trois châteaux, L’Hermitage et Les Tilles, ont été choisis par la Suède pour abriter en 1945 un « Foyer suédois pour les enfants de France », enfants privés de famille, venant des régions dévastées par la guerre. En 1948, « Les Foyers suédois ont été remis comme dons au département de la Seine ». En 1952, ce département fait l’acquisition du troisième château, celui de Forest Lodge, et ce sont les services sociaux de la ville de Paris qui financeront et gèreront le Domaine à partir de 1964.
Lire l’ensemble de ce rapport :
http://www.lasylve.fr/publications/documents/petitesChroniques23-36.pdf
On voit donc clairement que le Domaine a été créé pour les enfants, que la Suède a eu l’initiative généreuse de mettre à l’abri les enfants maltraités par la guerre, qu’elle a confié à la France le soin de poursuivre cette œuvre, que le département de la Seine a tout aussi généreusement permis à des générations d’enfants malmenés par la vie de grandir dans un environnement magnifique, au cœur de la forêt, près d’un village qui les a associés aussi à ses activités — bibliothèque, théâtre, sport, par exemple.
Qui, aujourd’hui, a décidé, et pourquoi, que les enfants les plus démunis n’auront plus droit à cette chance ? Au nom de quoi ?
On connaît la formule attribuée à Victor Hugo : « Ouvrir une école, c’est fermer une prison ». Une chose est certaine : fermer une école, c'est toujours un renoncement, c'est pour ces enfants en difficulté l'abandon d'une ouverture, d'un avenir, d'une espérance.
En temps de paix, on le sait, des enfants, en France, peuvent vivre dans des conditions difficiles et douloureuses. Les mères qui sont venues témoigner l’ont dit : ce lieu a été pour leur famille un refuge bienvenu qui redonnait l’espoir. Les anciens élèves l’ont écrit à leurs éducateurs, comme Rahim qui a vécu au Domaine de 1997 à 2004 : « C’est l’une des meilleures choses qui me soient arrivées dans la vie, sans cet internat je ne serais sûrement pas l’homme que je suis devenu. »
Liens annexes :
Pour signer la pétition lancée par une ancienne élève du Domaine, adressée à Anne Hidalgo, maire de Paris :
https://www.change.org/p/anne-hidalgo-sauver-le-domaine-des-trois-chateaux-de-sa-fermeture
Note 1 :
L’AGE http://www.age.asso.fr/association.htm
Reportages de coye29 sur le Domaine :
En juillet 2014 : http://coye29.com/blogs/blog6.php/2014/07/08/kermesse-au-domaine-des-trois
En juin 2015 : http://coye29.com/blogs/blog6.php/2015/06/27/au-domaine-des-trois-chateaux
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4 commentaires
Commentaire de: Marie Louise Membre
Commentaire de: Leleu Monique Visiteur
Je suis arrivée au tilles en1952 j avais 5 ans. La directrice était Mme Blondeau elle m avais prise son son aile. Les gardiens étaient Mr et MM Copains. Je me souviens avoir était heureuse que de bon souvenir j ai terminé à l ermitage . J en suis partit en 1959.
Commentaire de: Jacqueline Visiteur
merci pour ce témoignage
Commentaire de: Claude Lebret Membre
Certains réfléchissent à la création d’un accueil pour femmes handicapées victimes de violences et de construction de logements pour personnes âgées, handicapées et valides qui manquent tant à la commune.
D’autres travaillent sur des projets de crèche ou de centres de formation.
Chantal Place nous informe que la délibération sur la situation du Domaine aura lieu en conseil de Paris entre le 3 et le 5 juillet.