LES IRREMPLAÇABLES
Il y a des irremplaçables. Il y a des gens qui sont des phares. Leurs yeux balaient nos nuits de longues lueurs d’espoir. La course de nos vies paraît moins incertaine et les récifs noirs des jours de peine moins acérés à nos cœurs transis. Il y a des gens comme ça, des gens simples, comme vous et moi. Ils se réveillent dans le même monde injuste et s’endorment sur les mêmes regrets amers. Leurs rêves sont aussi fous que les nôtres, et aussi forts sont leurs besoins d’amour. Mais si un jour on les croise, on les rencontre, la vie n’a plus la même couleur. On le sait d’instinct.
Leur foi les dépasse. Leur courage peut parfois tenir de la rage. Ils sont durs à suivre, ces gens-là, durs à comprendre, durs à supporter au quotidien souvent. Parfois, on a l’impression qu’ils ne nous voient pas, que leurs regards perçants nous traversent, presque à nous blesser. Ils ne sont pas aveugles, ils sont voyants. Leurs yeux n’ont plus besoin de voir, ils embrassent le monde et y tracent des chemins. Christian Cabrol, Simone Veil, Josy Eisenberg, Françoise Héritier et Maudy Piot étaient de ceux et de celles-là, de ces acharné.e.s de la justice, de ces compatissant.e.s des plaies du corps comme de celles des enfances meurtries. Femmes et hommes au grand cœur, elles et ils avaient fait de leurs propres misères des drapeaux de révolte, des étendards de patiente insoumission. Il leur fallait arracher leurs victimes des griffes des prédateurs immondes, des vieilles ruelles comme du grand monde. Il leur fallait faire rendre gorge aux tueurs des arrière-boutiques, aux sinistres violeurs des arrière-cuisines et autres monstres des fonds de couloir. Il lui fallait rendre leur honneur perdu à tou.te.s les oublié.e.s de la société du paraître, les laissé.e.s pour compte de la bonne conscience et rallumer la fierté aux petits yeux de celles et ceux qu’on ne regarde plus sur le bord des trottoirs. Avec elles et eux, nous étions d’emblée enrôlé.e.s, embarqué.e.s vers des batailles lointaines. Peu nous importaient leurs issues incertaines. Les foules s’agglutinent aux obsèques des héros. Les médias retentissent des trompettes de leurs renommées. Ils ont passé leurs vies à faire briller leurs destinées et à parfaire leurs légendes. Mais leur gloire disparaît derrière celle du héros suivant. La mousse comble vite les sillons de leurs noms dans la pierre de leurs tombes. Les irremplaçables n’ont que faire de ces hommages posthumes et du marbre blanchi des mémoriaux. Leurs noms et leurs vies sont inscrites au fond des cœurs des femmes et des hommes et surtout des déshérité.e.s. Les générations futures passeront les cols et les ravins, marcheront la main dans la main par les brèches et les chemins que leurs combats anonymes ont ouverts pour l’avenir de l’humanité.
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