Pas une de plus
Allez chercher pourquoi cette année, l’automne me fait plaisir. J’y trouve un parfum de rentrée des classes, un regain de rencontres nouvelles et de combats nouveaux. Cette année, la pluie ne me gêne pas. Et si les premiers froids s’attaquent au bout de mon nez, ils ont déjà su tapisser les sous-bois des feuilles dorées au chant métallique que soulèvent nos songeries bucoliques. Un vent nouveau se lève, ne sentez-vous pas ? Dans le monde, des révoltes grondent. Des gens prennent la rue par ici et déjà, par-là, certains prennent les armes. Ils meurent pour leurs droits. Les pouvoirs vacillent. Les grands de ce monde s’interrogent et même certains se fâchent, contraints qu’ils sont de démasquer leurs cruautés abominables au grand jour médiatique.
Chez nous, nos gilets jaunes, fronts bas, slogans butés, se font éborgner pour des prunes, mais gardent l’initiative, sinon le haut du pavé. Nos policiers épuisés et honteux enragent de jouer les bisons brutaux, pas fûtés pour un sou. Le désespoir grignote toujours le cerveau des petites filles et des petits garçons que les nuits en famille font vomir de terreur. Celles qui meurent de froid dans les encoignures sales de nos couloirs d’immeuble, ceux qui meurent de rage aux pieds des barbelés européens pour avoir voulu voir nos vitrines de Noël, celles qui meurent sous les coups virils de leurs tueurs de pavillon de banlieue, ceux-là, celles-là ont toujours le même désespoir rance quel que soit la saison. Mais nous, avant l’hiver, avant la grande bouffe des fêtes, avant le grand shoot de drogue de Noël, avant la grande soulerie qui fait qu’on oublie qu’ils vont encore se faire des pelotes en or sur notre dos, Nous Toutes et nous tous, nous allons leur montrer de quel bois, de quel gasoil, de quel pétrole, on se chauffe. On va relever la tête, même si elle reste lourde du désespoir des oubliées. Nous Toutes, nous nous battrons, chacune à sa manière, avec nos petites armes méprisables de victimes. Nous Toutes, nous nous réchaufferons à nos regards de rage, si on a encore nos yeux pour voir, nous irons à la force de nos jambes, si elles nous portent encore, dans l’enthousiasme de nos chants, si on a encore la voix, mais surtout dans la puissance de nos larmes de rage et de joie qu’on partagera… Eux, ils recevront nos cris tels des crachats. Ils nous regarderont du haut des grandes fenêtres éclairées de leurs salons cossus, aux rideaux à demi tirés sur la rue. Ils nous regarderont avec mépris. Ils ricaneront en se servant un verre. Rien ne paraît encore faire trembler leur univers. Mais Nous Toutes, nous savons qu’ils ont perdu.
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