PUTAIN !
Putain, ce n’est pas possible d’entendre ça ! Toujours « Putain ! », à chaque fois qu’on se tape sur le doigt, qu’on ouvre une facture des Impôts, ou que le train vous démarre sous le nez.
Ah non ! Putain : ça ne va pas. Il n’y a pas de raison qu’on clame sa colère ou son énervement en invoquant la femme prostituée ! Comment ça marche dans nos têtes pour que le besoin de parler de la prostitution arrive à ces moments-là. D’autant que de la prostitution d’habitude on n’en parle jamais. Sauf, sauf qu’en fait, avec « Putain », on en parle tout le temps.
« Putain ! Ah non, Putain ! Mais qu’est-ce que tu fais ?... Arrête, Putain ! Aurélie ! Y-a des bagnoles dans ce parking ! Putain ! Je t’ai dit de ne pas lâcher le caddy ! Putain ! Tu ne la vois pas, la voiture ! Tu cours partout, quand je te dis de rester tranquille. Mais, Aurélie, t’es qu’une... Putain ! Aurélie, t’obéis ! Aurélie ! Putain ! Viens ici ! »
Et le lendemain, dans le jardin fleuri du vieux papi gentil, les enfants jouent, après le goûter, au soleil, dans le verger.
-« Putain ! Kévin ! tu as encore envoyé ton ballon chez le voisin ! »
-« Papi ?... C’est quoi putain ? Dis, Papi ? C’est quoi putain ? »
-« Une Putain, Aurélie ? Et bien... C’est une femme... Ah, j’aurais préféré que ta grand-mère soit encore là. Elle était mieux placée pour te parler de ces choses-là... »
-« Ah Bon ? Mami, elle était putain, Papi ? Parce que Papa, hier dans le parking, il a dit que j’étais putain. »
-« Mais non, voyons, ta grand-mère ! Bien sûr que non ! Et toi non plus Aurélie, voyons !
Putain !... Kévin ! t’es énervant ! Tu as encore envoyé ton ballon chez le voisin ! Ça fait deux fois ! Putain ! »
-« Alors, Papi ? »
-« Bon. Une putain, c’est une femme... une femme qui vend de l’amour... enfin qui fait croire. »
-« Papi, ça se vend l’amour ? »
-« Enfin bon. Non. Mais il y a des hommes qui font comme si... et qui les obligent. »
-« Papi, tu crois que Papa, il veut que je sois putain, moi aussi ? Quand je serai grande, moi aussi, faudra que je vende de l’amour aux hommes. Et... Mais si on ne veut plus ? »
-« Putain, tu m’embêtes Aurélie. Si elle ne veut pas, on en prend une autre et on fait en sorte que, celle-là, elle veuille. »
-« Oui ! Eh bien, c’est dégueulasse ! »
-« Putain Aurélie ! On ne dit pas, c’est dégueulasse. On dit c’est dégoûtant... Mais qui c’est qui t’a appris ce vocabulaire ! »
Et voilà. Ça reste là, au fond du cerveau des gens et ça ne dit plus rien. On sait tous qu’il y a des hommes, tous les jours, qui forcent des femmes à faire semblant de « faire l’amour », comme ils disent. On sait tous qu’il y a des femmes qui en meurent. Mais on ne dit rien. On n’y pense plus.
Mais toutes les petites Aurélie du monde, elles l’ont entendu. Elles savent qu’il ne faut pas en parler. Sauf que de temps à autre, au hasard d’un agacement, « Putain » revient pour qu’elles n’oublient jamais le sort qui est promis à un certain nombre de petites Aurélie.
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