La vérité, si j'mens !
Il n’y a pas de douce Vérité. Le vrai est brut, cash, irrespectueux. La Vérité sort nue du puits des comptines de l’enfance. Obscène, poilue là où il faut, dépeignée, sa seule pudeur est de ne pas mentir. La vérité choque toujours. Elle exagère, force le trait, déclenche des « oh » et des « ah », ou des rires gênés. La vérité doit-elle être dite en public ? Supporte-t-elle la lumière ? Si tu veux la dire, il vaut mieux baisser la voix. Le murmure convient. Il peut ne pas s’entendre et laisser planer sur elle le voile pudique de l’incertitude. Regardons le sort terrible réservé aux lanceu.r.ses d’alerte. « Le premier qui dit la vérité sera assassiné ! » chantait Guy Béart, poète désuet du siècle dernier dont les photos jaunies sont rangées dans le carton sous l’escalier. Le temps passe. On a consacré plus de temps à enterrer les vérités sous le sable fin de l’oubli et les blocs de pierre des légendes, qu’à fouiller les ruines de l’Histoire.
Les gens préfèrent les mythes et autres histoires à dormir debout. Ils raffolent des histoires qui se racontent à la petite lumière jaune au chevet des enfants. Les histoires rassemblent les familles, soudent les communautés, encensent les victoires des conquérants, et la gloire des héros. La Vérité est une trouble-fête, une plombeuse d’ambiance, une Cassandre, une porte-malheur. Alors, elle crie, la Vérité ! Elle hurle. Elle vitupère. Elle s’énerve, perd son sang-froid, apostrophe les foules incrédules. Sa véhémence la discrédite. Que pèse son discours devant les propos mesurés, logiques et raisonnables des menteurs ? Il n’existe rien de plus doux qu’un mensonge. C’est sucré, moelleux et délicieux. Franchement, c’est facile d’en devenir dépendant, « addict » comme on dit maintenant. La corne d’abondance médiatique ensevelit de mythos, carottes, fables, bobards et menteries nos oreilles tendues comme des hanaps, gloutonnes de charlatanisme, de fake news et d’hypocrisie. Le vrai mensonge circule élégant, vêtu de probité candide et de lin blanc, cravaté de soie, tiré à quatre épingles, le geste souple et le visage affable. Comment ne pas lui donner tout notre crédit ? Comment ne pas voter pour lui ? La Vérité est une folle échevelée, qui marche pieds nus sur le pavé, sans vêtement malgré la pluie. Les mots grossiers lui tordent la bouche et ses yeux sont devenus méchants depuis qu’elle a compris qu’elle ne serait jamais crue. La Vérité est dure à entendre, dure à comprendre et même dure à imaginer. Il faut se contraindre à la croire. Mais n’oublions jamais que « le roi est nu ! ».
Illustration : Jérôme-Martin Langlois (1779-1838), Cassandre implorant la vengeance de Minerve contre Ajax, 1810, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Chambéry
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