Il y a longtemps qu'ils ont tué Jaurès
Le front haut et les mâchoires serrées, ils préparent la troisième guerre mondiale. Les drapeaux claquent déjà dans le vent de l’histoire. Chacun choisit son camp : les gentils ou les méchants, les cruels ou les couards, les héros ou les fuyards. On a encore le temps de choisir si on a la chance de n’être ni russe, ni ukrainien, ni syrien, ni arménien, ni yéménite, ni éthiopien, ni… La liste des chanceux diminue comme peau de chagrin. Il ne reste que le choix des armes. Il y a déjà du sang sur le calendrier. Les hommes se comptent. Les femmes se taisent ou cherchent des histoires de poneys roses à raconter aux enfants qui pleurent la nuit. La course n’est plus aux masques ni au gel désinfectant. La course est aux armements. Les lendemains qui chantent, les promesses d’avenir, les engagements des G 20 ou des G je ne sais plus combien, les brillantes déclarations de bonnes intentions politiques, les beaux discours la main sur le cœur, les campagnes électorales qui enflamment les écrans médiatiques, tout est tombé dans la grande poubelle des propagandes guerrières. La troisième guerre mondiale sera comme les autres, une guerre juste. Les gens sont déjà prêts à devenir des dommages collatéraux malchanceux ou des survivants ravagés par la culpabilité d’avoir survécu. La planète sera transformée en enfer, de sécheresse en inondation, de famine en pandémie, d’incendies étouffants en pluies radioactives, autant d’horreurs à faire pâlir les sept plaies de l’Egypte antique. Qui écoutera la femme aveugle violée par son copain ? Qui entendra dans l’escalier pleurer la petite fille incestée par son cousin ? Qui protègera les victimes de la barbarie ordinaire ? Qui cherche le tueur du petit matin, quand tout le monde prépare le massacre du grand soir ? Les yeux se ferment déjà, les oreilles se bouchent et les bouches n’osent plus élever la voix pour défendre le faible, le vieux et l’opprimé. Alors qui parlera pour la vulnérable, la vieille et l’édentée ? Les hymnes vont résonner. Les foules vont se rassembler pour déchaîner les haines et les chants virils. Les vengeances vont s’écraser les unes contre les autres. Les animaux seront immolés sur l’autel de l’indifférence humaine. Pourtant personne ne manifeste, personne ne marche dans la rue pour exiger la paix. Personne n’accuse du sacrifice de l’humanité les mafieux apatrides qui s’offrent l’éternité par le crime. Leur stupides querelles se confondent en étreintes suicidaires et fondent des mythes et des légendes pour leurs adorateurs fanatiques. Il y a longtemps qu’ils ont tué Jaurès.
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