Heureusement il y a le perce-neiges !
Heureusement il y a les perce-neiges. Il n’a pas neigé chez nous en ce mois de Février. Mais tout d’un coup le regard s’accroche à une flaque immaculée de fleurs timides et simples. Faute de mieux, vivaces et volontaires, elles ont fait elles-mêmes la neige qu’elles rêvaient de percer. Une discrète odeur florale sucrée lutte un instant contre la brise. Le laque d’azur profond du ciel laisse en bas aux arbres une frange pour graver leurs membrures suppliantes et dorées. Un avion de ligne chuintant scarifie l’horizon. Et tout revient. La fumée, la poussière, les cris, les enfants perdus, les mères mortes et les nuits incendiées. La croûte terrestre se décolle. Dans nos têtes, les plaies de la terre se remettent à saigner. La fabrique humaine de l’inhumain est lancée dans un vacarme assourdissant de métallurgie. Les grands mâles sont petits, ventrus et pommadés. Leurs œillades de matamores fusillent les objectifs luisants de leurs presses courtisanes. Les hommes de rang sont loin. Devenus des robots caparaçonnés de verdâtre, ils sont debout, enfoncés dans des tranchées gluantes de boue puante. Ils glissent pour la propagande un sourire intemporel à leur bien-aimée. Chair à canon. Sur leur manche fleurissent les petites taches de couleur de leurs drapeaux, ces couleurs pour qui l’on meurt. Petits crocus bleus et jaunes crevant le tapis de feuilles froides de la fin d’hiver. Bientôt le sang rendra dérisoire cet effort printanier. Où sont la grâce, le raffinement, la finesse, l’élégance ? Qu’ont-ils fait de l’amour et de l’amitié ? Que reste-t-il des musiciens, des poètes et des doux amants du petit bois de Saint-Amand ? Pour qui chanteront les poétesses, les musiciennes et celles qui chantonnent aux oreilles des enfants la dernière comptine du soir ? Pour qui laveront-elles les carrelages ? Pour qui se maquilleront-elles ? Pour qui éplucheront-elles les vieux ouvrages de bibliothèques surannées ? Pourquoi danseront-elles dans leurs chatoyants opéras, quasi nues et si belles ? Avec qui valseront-elles au petit bal de la Saint Jean ? Le monde se vide, ivre du temps qui saigne de la clepsydre. Les dernières gouttes qui arrivent encore à sourdre de la planète écrasée s’écoulent comme d’un citron pressé. Heureusement il y a les perce-neiges. Avez-vous remarqué leur blancheur parfaite, à peine acidulée ? Mais regardez, ils baissent déjà la tête. Que regardent-ils ainsi à leurs pieds ?
PARTAGER |
Laisser un commentaire