Sans peur et sans reproche
Brrr… La peur distille nos cauchemars d’enfants. Elle vient sourdre entre les pierres des voûtes humides, puis se cacher sous la poussière des greniers. L’ombre se feutre de toiles collantes d’araignées velues. La bonne vieille peur des fêtes gaëliques circule entre cimetières et châteaux hantés. Elle habite son royaume de sorcières et de chauves-souris, baigné d’odeurs de soufre et bercé par le chant des corbeaux. Comme on l’aime, cette vieille frousse qui pousse chaque année le carnaval morbide des enfants à taper à nos portes pour avoir des bonbons ! Elle nous rassure, surtout depuis que le monde a la tête à l’envers. Grondant d’orage, les nuages noirs nous charment de leurs promesses de pluie après ces longs mois angoissants de sécheresse. Le jour qui meurt à l’automne, les feuilles brunes et dorées endiablées par le vent, le soleil qui va crever dans son bain de sang, ce ne sont que des morts douces pleines d’espoir de printemps. Mais les écrans médiatiques dégoulinent de leur actualité épouvantable, de boue, d’acier et de sang. Les sanglots des orphelins sont étouffés par le fracas des bombes. Les tueurs se repaissent des corps de leurs victimes avant de les achever sous les caméras des reporteurs de guerre. Nos glorieux dirigeants reçoivent les prix Nobel de la sauvagerie, de l’hypocrisie et du mépris pour leur propre peuple. Ils ont gagné la célébrité éternelle. Leurs noms brilleront au firmament jusqu’à la fin prochaine de l’humanité pour avoir détruit la planète en un dernier autodafé de fureur et de guerre. La crainte se fait terreur. La virilité dominatrice tend ses bras ensanglantés vers le vide du ciel, habité de nuées enflammées et de hurlements de haine. Chaque religion lance son dieu contre celui des autres, tous champions incontestés de l’amour et de la miséricorde. Dans la mêlée ridicule du mondial de la cruauté, ces dieux s’empoignent d’une dernière étreinte pour sombrer dans leur néant. Notre Présent est devenu si monstrueux qu’il dévore notre Avenir à grands lambeaux entre ses dents carnassières. Dès qu’on y pense, demain fait peur. Chacun cherche un moyen de cacher l’anxiété qui le taraude, mais que tout le monde partage en son for intérieur. Seul le déni nous console. Quand les enfants toquent à la porte déguisés en tueurs de l’aube ou en squelettes décharnés, on rigole et on donne des confiseries. Et s’il y a des choses qui ne nous donnent pas la trouille, ce sont les citrouilles.
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