L’Échappée, Lettre ouverte au Festival
"Mortel", c'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit en quittant mon siège ce soir.
Que le temps fut long dans ce fauteuil rouge ...
Mais qu'est-ce qui vous a pris de nous infliger une pareille soirée, d'un ennui profond et interminable, plus d'une heure pour nous parler d'un cercueil en bois massif que Philémon a fait réaliser par un menuisier et pour lequel il cherche un véhicule ad hoc, et de Patrick qui a un cancer et qui aime réparer les camionnettes, et qui est tout content d'avoir acheté ce cercueil en bois, à deux jambes, dans une pose indécente, qu'il va pouvoir faire rentrer dans un corbillard restauré. Mais quelle histoire...
Comme cela ne finissait pas et que manifestement Philémon était content de faire durer le plaisir (l'Origine du monde nous a bien occupés heureusement, comme Magritte, tous les deux pour nous dire attention ce soir on parle de l'Art, et pas seulement d'un cercueil et d'un corbillard), comme cela ne finissait pas, disais-je, j'ai repensé à tous les cercueils que j'avais vus, suivis, choisis… Trop nombreux pour être comptés, pendant une nuit d’insomnie peut-être… la famille, les amis, les collègues, les connaissances. Pourquoi moi, avais-je survécu à cette hécatombe ?
Cette année, vous nous avez gâtés au Festival, on a eu le choix : une jeune fille abattue, une autre, autiste, qui a perdu sa mère, qui tue son voisin et qui finira ses jours internée en psychiatrie, un pêcheur qui rencontre un suicidaire, un séjour en maison de retraite et enfin cette histoire farfelue de cercueil. Le tableau est complet – heureusement il y a eu des moments de grâce et de joie.
Comme ce soir, après spectacle, je ne pouvais écrire pour coye29.com une seule phrase sur Philémon (ce que je fais pourtant), j'ai pensé à vous et j'ai eu envie de vous écrire. D'abord pour contester. Surtout pour contester. Puis je me dis que vous avez passé un an pour faire ce 43e Festival, que vous vous êtes battus pour les subventions, que vous avez vu des centaines de spectacles, que j'ai vécu des moments forts et passionnants grâce à vos choix, et je veux vous en remercier.
Quelle joie d’avoir du théâtre à sa porte pendant trois semaines à côté de chez soi... Alors on peut bien passer sur une heure d’ennui.
……
Quelques jours ont suivi, et j’ai repensé à l’Échappée… J’ai l’esprit lent… Il fallait que je trouve une réponse à l’énigme. Car il y en avait une, c’est sûr. Et brusquement, une révélation sur l’Origine du monde – projetée sur écran durant un temps interminable. Je n’avais pas vu sa raison d’être là ni ce que je pouvais en faire. Et tout à coup j’ai vu.
J’ai vu les jambes magnifiques, ouvertes de celle dont on ne voit pas le visage et j’ai vu le cercueil aux jambes ouvertes lui aussi.
J’ai vu le cercueil (de Magritte) sur le lit de repos de Madame Récamier.
Et j’ai enfin compris l’accouplement sur scène des deux cercueils en bois, avec bruitage… Un résumé de la vie, on est conçu et on meurt. Ce qui est possible aussi, c’est que Philémon veuille vraiment pour lui-même ce cercueil à jambes écartées afin d’être prêt à saisir l’occasion de recevoir entre elles celui d’une femme superbe, morte ? On ne sait si le plaisir viendra…
Après quelques jours, on s’amuse un peu ….
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