LE VENT SE LÈVE
Le vent soufflait déjà pas mal. Il avait pris l’habitude de rentrer par une oreille et de sortir par l’autre. Cela avait pour effet de chauffer les esprits plus que de laisser aux gens la tête froide. Le vent se contentait de secouer les futaies en forêt pour en peigner les vieilles branches inutiles. Mais à part quelques volets mal attachés qui battaient d’innocentes façades, le vent n’avait pas encore fait scandale. Est-ce à cause des considérations climatiques de nos chers météorologistes atterrés ou des jeux désespérés des grands martinets noirs rasant les pelouses, nous levons maintenant les yeux et regardons les nuées avec angoisse. Abandonnant leurs pas lourds de transhumance maritime, les nuages poisseux se roulent les uns contre les autres. Leurs énormes ventres gris dévorent les dernières charpies de bleu du ciel et leurs grondements de satisfaction ressemblent déjà au tonnerre. « Le vent se lève » m’a dit ma vieille voisine en fermant sa porte, « Et ça n’annonce rien de bon. » Une sorte de moiteur charge l’air d’une sueur malsaine. Les commentaires inquiets diffusent la peur des écrans tremblotants. Les cartes de l’hexagone se colorent du rouge sang des alarmes du dernier degré. On fronce les sourcils. L’anxiété replie les gens dans leur cuisine. Ils n’osent plus regarder par la vitre. Le vent est en colère. Furieux, il bat la campagne, frappe les toits des villages et fait vaciller les tours illuminées des cités modernes. Il tape à chaque porte comme pour prévenir d’un grand malheur. On déplore de véritables tornades en Normandie, dans les Hauts de France et en Alsace. La foudre bombarde les plaines et fusille un à un les plus grands chênes. Tel un cyclone tropical, le vent vomit des torrents de pluie sur la mer, flagelle d’embruns le dos des collines, sape les pieds des falaises, tourbillonne de rage sur les toitures et les façades vernies, étincelantes de foudre. Le vent, le grand vent, se dresse furieux et nos cœurs tremblent. L’obscurité s’assombrit d’obscurantisme. Les bouches coassent des slogans incompréhensibles. Les mots ont perdu leurs sens. Ils s’envolent sous les bourrasques en feuilles blanches virevoltantes telles des mouettes éperdues dans la tempête. Les discours bourdonnent en sourdine derrière les tambours enragés des orages. La nature a abandonné l’humanité à son triste sort. La nuit des temps tombe sur notre avenir.
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