LETTRE SANS HAINE
Messieurs,
J’ai acheté hier l’appareil de marque « MacPomme » qui me faisait rêver depuis belle lurette : le top du top de la micro.
Je me disais que j’allais pouvoir taper mes récits jusqu’à lors écrits à la plume, les proposer aux éditeurs, rédiger des courriers tous azimuts, être publié, accéder à la gloire… Aussi, je me suis mis au travail avec ardeur. Mais voilà, catastrophe ! Le beau compiouteur comporte ce défaut majeur : lorsque j’appuie sur la septième touche du bas du clavier, au lieu de la lettre désirée, s’affiche ceci : . Même chose au tirage : je retrouve le même trait épais comme de la suie lorsque je veux imprimer. Jugez vous-mêmes ! Je peux écrire OUI, mais pas O. Comme par hasard !
J’ai voulu rapporter l’appareil défectueux… Mais alors, deuxième désagréable surprise : la dame à qui je l’ai acheté m’explique que l’appareil lui-même est irréprochable et que c’est sur ordre de la hiérarchie bureaucratique qu’il a été mutilé de la sorte. Impossible de le réparer ou de le remplacer. Celui d’à côté est similaire et sur tous les modèles, du plus simple au plus sophistiqué, du très haut de gamme au plus petit micro, je vais retrouver le même défaut. Elle va m’expliquer…
O.K. J’ai compris. Je l’ai remerciée et je suis sorti.
Messieurs les bureaucrates, c’est à vous que je m’adresse.
Si vous croyez, par votre miteux stratagème, m’empêcher d’écrire ce que je veux, vous vous trompez. Vous pourrez toujours essayer d’amputer, couper, châtrer, tailler, taillader, barbouiller, supprimer, effacer, caviarder… Sachez que vous échouerez à faire taire celui qui a décidé de s’exprimer.
Vous voulez chasser la septième lettre des claviers – ou tout autre lettre, ou tout autre mot, ou toute autre idée – vous voulez la chasser, elle réapparaît au galop. Sortie par le portail, elle se faufile et resurgit par le vasistas. Messieurs les chasseurs, vous perdez votre temps.
Partout sur la Terre, à toutes les époques, chaque fois que la dame aux ciseaux – c’est comme cela que je l’appellerai puisque le mot adéquat m’est impossible à utiliser du fait de vos ordres totalitaires – chaque fois que l’affreuse dame aux ciseaux, la lourdaude avec ses semelles de plomb, la brutale, la hideuse, a voulu sévir, chaque fois elle s’est heurtée à plus subtil qu’elle. Elle a toujours perdu, tôt ou tard ; et elle perdra toujours lorsqu’elle se retrouvera face à l’humour, la ruse, la légèreté, l’esprit, la poésie, le rêve.
Messieurs les chasseurs, je vous souhaite le beau soir.
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