Alpenstock
de Rémi De Vos
Coproduction Theatrul Tony Bulandra et Compagnie Thespis (Roumanie)
Mise en scène de Radu Dinulescu.
Un alpenstock ça peut servir à tout
D'abord à assurer les grimpettes vers les pics enneigés. Puis à être brandi face à une femme récalcitrante. Là, on peut se servir du manche en bois. Son bout ferré entaille la glace ou fend une bûche. La longueur de l'outil a diminué au fil des siècles, si bien qu'il est devenu très pratique pour être glissé dans la ceinture le jour du défilé folklorique.
Rémi De Vos en a imaginé un nouvel usage. Fendre un crâne. Par exemple celui d'un étranger qui se serait introduit dans votre foyer pour donner à votre épouse l'occasion de connaître l'extase des ébats extraconjugaux. En ce cas, pas d'hésitation. Comme il est facile à manier, le coup porte et occit l'adversaire dans la seconde.
Évidemment, du nettoyage est nécessaire ensuite, les éclaboussures sont inévitables. Mais la main experte de la ménagère en vient à bout, surtout quand elle utilise du détergent cosmopolite.
Attention! Ce détergent n'est pas en vente partout. Sur certains marchés seulement, là où les produits ne sont pas régionaux. Donc pour s’en procurer la démarche n'est pas sans risque. La fréquentation de tels marchés développe en effet un certain goût pour l'exotisme et un désir insidieux de regarder, voire de s’aventurer hors de la frontière. A cause de ces fâcheux effets secondaires, vous pourriez oublier la beauté et la grandeur de votre région. Mieux vaudrait s'en tenir à vos marchés des Hauts de France, même si les détergents qui y sont vendus n'ont pas les mêmes pouvoirs.
Pour en revenir à l'alpenstock, son usage à l'encontre de crânes d’étrangers qui se seraient subrepticement glissés dans vos foyers peut pimenter une vie conjugale parfois monotone. Les élans bestiaux se manifestent, on découvre de nouveaux jeux. Car enfin, le balai, même savamment manié, a ses limites.
L'alpenstock est là aussi pour vous ancrer dans votre région, dans vos frontières. On peut s'y cramponner en cas de changements, voire de bouleversements. Il est une valeur sûre. Celle qui vous fait aimer les bonnes chansons dans les tavernes, les exploits de vos skieurs qui sont les meilleurs du monde, la blancheur de vos sommets et de vos frigidaires, en un mot la pureté de votre peuple. Quand sur le marché cosmopolite le vent souffle vers vous des odeurs de steppes, vous pouvez vous mettre, on ne sait jamais, à rêver de yourtes, de "peaux de bêtes", de "postures impudiques". Le seul remède est alors l'alpenstock de votre mari.
En attendant Yosip
Grinçante et drôle, la pièce de Rémi De Vos ! Surtout quand des comédiens roumains viennent souffler l’air du large (si l’on peut dire) dans le paysage coyen. Superbe Victoria Cocias, voix grave et prenante, qui donne à Grete, la « femme simple », un corps qui ondule et cherche l’épanouissement dans le nettoyage érotique de sa maison. Comme elle joue bien la femme soumise dépourvue de la moindre cervelle et qui s’en remet à son mari pour penser ! Pourtant, elle est l’audacieuse qui, parfois, franchit les limites. La comédienne est remarquable dans cette alternance de conformisme et de transgression.
Liviu Cheloiu fait de Fritz le mari, un bloc rigide et imposant, un homme de conviction, du style travail-famille-patrie partisan du grand nettoyage. Une allure de père de famille tranquille et inoffensif, d’employé modèle qui « tamponne » toute la journée dans son bureau et à qui sa femme, le soir venu, fait enfiler un pyjama rayé pour d’autres coups de tampon. Dans sa petite culotte de peau de chamois, la plume au chapeau, on dirait un gentil petit garçon bien apprêté par sa maman pour le défilé folklorique. C’est pourtant lui le chien pitoyable du jeu sado-maso qu’il initie, ou le bourreau manieur d’alpenstock et de tronçonneuse. Alors gare aux fonctionnaires scrupuleux !
Heureusement, les Balkans font irruption avec Yosip ! Quand vous ne supporterez plus votre univers ordonné, briqué, lisse et blanc, appelez Yosip et laissez votre porte ouverte. Le petit bonhomme leste et farceur aura vite fait de déranger tout cela. Finis l’uniformité, l’ennui et la blancheur. Voici le noir, le désir, le désordre. Pavel Barsan est parfait dans le rôle, vivacité de jeu, mimiques expressives, la démarche nonchalante d’un jeune loubard décontracté que rien n’effarouche.
Il y a donc de l’espoir, même si la pièce de Rémi De Vos en laisse peu. Car s’il existe des Fritz, on pourra quand même compter sur les Yosip pour éviter les défilés.
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