Le Voleur d'autobus
de Boubakeur Makhoukh
D’après une nouvelle d’Ehsan Kouddous
Compagnie Ali n’est pas Baba et Atelier Théâtre Actuel
Adaptation et mise en scène de Nour-Eddine Maâmar.
Un ticket pour l'absurde
« Je n’exagère pas, monsieur le président : c’est la réalité qui exagère... » Dans cette Algérie de la fin du XXe siècle, qui vient d’ajouter une couche de guerre civile sur les gravats fumants de la guerre d’indépendance, la réalité dépasse l’autobus.
Et question réalisme, l’algérien vaut bien l’italien. Avec Cherif, pauvre chauffeur-mécanicien, le spectateur prend son ticket pour le terminus de la désespérance. La ligne égrène ses arrêts de la liberté et la République jusqu’à la rue des martyrs, qui se décompose en une ruelle incertaine - l’improbable rue de la démocratie - et finit en impasse.
Toute la pièce de Boubakeur Makhoukh - un procès kafkaïen - se déroule devant le mur gris et lépreux qui barre l’horizon.
Ecrasé sous le talon d’un juge aussi invisible qu’inflexible, Cherif - auquel le jeu sensible de Nour-Eddine Maâmar donne une humanité profonde et touchante - pousse son lamento sans jamais se départir de son fatalisme souriant et résigné. Il raconte la vie qu’il mène avec sa femme Djamila - lumineuse Linda Chaïb : ce quotidien qui hésite entre Le Voleur de Bicyclette et les Roses blanches dans un pays chaotique où règne la loi du plus riche.
Loin du bel appartement rêvé, avec salle de bain et chambres individuelles pour les enfants, le couple et sa progéniture se retrouve bientôt entassé dans un « une pièce-cuisine » où « on déplie les jambes à tour de rôle » - avec, pour toute fenêtre sur l’extérieur, la télévision qui hurle ses insanités, et à l’extérieur, les barbus qui rôdent.
Au fur et à mesure que la misère augmente, le logement rétrécit. Les ambitions avec. Cherif a les mains pleines de cambouis. Les enfants traînent désormais entre terrain vague et stade de foot. L’ascenseur social est en panne. Les bacheliers tiennent les murs.
Dans le chaos du quotidien, Cherif compte leurs enfants morts. Djamila perd sa joie de vivre. Elle tomba malade et pour l’hôpital, le bonhomme vit partir sa femme. Là encore, la corruption règne. Les bakchichs versés à l’infirmière, ne sauveront pas Djamila. Cherif désespère d’arriver à temps à son chevet. Le chauffeur de l’autobus s’en moque. Il fait ce qu’il veut, d’abord, et tout le monde s’écrase. Alors Chérif se révolte contre ce dernier et minuscule rouage d’un système malfaisant - oh, une révolte bien gentille ! Il se contente de prendre le volant pour assurer le service à la place du fonctionnaire traîne-patins. Il s’imagine déjà qu’arrivé à l’hôpital, quand il descendra, un autre prendra le relais et que la lutte continuera. Il a juste négligé un point essentiel : aucun des autres passagers ne sait comme lui conduire le bus. La révolte tourne en eau de boudin. Et ceux qui l’applaudissaient se jettent à présent sur lui pour le battre et le livrer à la police.
Le rire n’est jamais loin, dans ce Voleur d’autobus. Mais un rire jaune, en défi à l’absurdité.
Chérif ne reverra pas sa femme vivante. Il va être condamné pour avoir volé un bus et tous ses passagers. « Les passagers aussi, j’allais les vendre en pièces détachées ?! » Pour tout dire, il s’en fout. Sa vie est déjà une longue peine... Pour dire à quel point la situation est désespérée : être jugé c’est la seule chance qu’il aura jamais de se faire entendre. Aussi il n’hésite pas : il invite le juge à laisser sa voiture au garage pour, une fois dans sa vie, comme lui, prendre le bus.
Il n’y a pas de petite subversion..
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