Stabat mater furiosa
de Jean-Pierre Siméon
Coproduction Atelier Acte II et Tous en scène
Mise en scène : Rémy Chevillard
Samedi 16 novembre
La soirée du samedi 16 novembre au Centre culturel, organisée par l’association Solidarité Coye, a été un vrai cadeau. Cadeau du théâtre à la solidarité, puisque la troupe Tous en scène offrait à l’association pour ses actions en faveur des réfugiés la représentation de « Stabat mater furiosa ». Et cadeau aux amateurs de théâtre, d’un spectacle qui venait de remporter le premier prix – La Tour d’or – au Festival national de théâtre amateur de Saint-Cyr-sur-Loire.
« Stabat mater furiosa » c'est d'abord un poème de Jean-Pierre Siméon, qu’il date lui-même du 19 août 1997, à Saïda, au Liban, un monologue en vers libres, sans ponctuation, comme une réponse au « Stabat mater dolorosa » – prière catholique du XIIIe siècle – source d’inspiration de tant d’œuvres artistiques qui figurent ou font entendre la souffrance d’une mère au pied de son fils crucifié.
En réponse aux pleurs de celle qui vit la mort du fils, blessée à jamais, voici le cri d’une femme, sa révolte, sa colère, son refus de comprendre que l'enfant qu'elle a nourri et bercé, le frère avec qui elle a partagé les jeux de l'enfance, le père protecteur qu'elle a aimé sont devenus des hommes porteurs de mort, des hommes de guerre, qu’ils ont été capables d’être des bourreaux et de jeter aux chiens l’amour qu’ils avaient reçu et donné.
Musique, mouvement et couleur
« Stabat mater furiosa », c'est ici, au théâtre, sept comédiennes pour un chant à sept voix qui disent les vies de toutes les femmes. La musique traverse le spectacle. La musique des voix, la musique des mots, la musique des pas, des pas légers d'enfants, ou de jeunes filles qui vont à la rivière, de femmes qui traversent les pièces de la maison, qui traversent la vie, résolues, des pas qui suivent le chemin et ne s'arrêtent pas, et des pas d'hommes effrayants qui martèlent la terre et le cœur, avant de donner libre cours à leur barbarie.
Sur scène, les femmes sont comme des flammes qui dansent sous nos yeux, robes rouges, robes brunes, tachetées, robes claires, en mouvement autour des corps qui vont, viennent, se tordent, se courbent, s'allongent, revivent. C'est comme une danse qui tourne autour des sept lampes posées sur des tapis et dont les halos jaunes, rouges ou orangés suscitent une étrange émotion, rappelant l’intimité des foyers.
Conduit par une mise en scène créative qui joue sur les sons, les couleurs, les mouvements, le spectateur traverse toute une vie de femme. Il voit son quotidien, bien ancré dans la réalité d’un pays de soleil, planté d’oliviers, près des graviers d’une rivière, ou sur le sable rouge du chemin. Les jeunes filles chuchotent dans l’ombre et rient sous cape, la jeune femme est heureuse d’être parée de belles étoffes pour son mariage, parfumée, caressée, la mère coud, file ou nettoie son intérieur. La vie s’écoule ainsi dans la paix, si douce et belle… Jusqu’à ce qu’arrivent l’homme de la guerre et sa panoplie d’armes, les viols et les destructions. Alors, au lieu de pleurer et de gémir sur les massacres qui brisent leurs vies, les femmes se révoltent, disent leur colère d’une voix qui a « le tranchant du silex », de toute la puissance de leur corps et de leur gorge, cri aigu, son guttural qui se prolonge comme celui d’une douleur, mots qui cinglent, qui apostrophent, crachats, gestes qui blessent et repoussent. Aux hommes qui ont désarticulé les corps, les femmes répondent par la violence des mots qui tantôt courent de l’une à l’autre et se répondent, tantôt s’unissent en un chant choral dont l’énergie enveloppe toute la terre.
Mise en scène créative et audacieuse
Avec cette représentation le théâtre est servi. Reconnaissons à Rémy Chevillard l’art d’avoir créé un monde qui vit, qui bouillonne, surprend et émeut, à la hauteur du texte poétique et métaphorique de l’auteur. Nous garderons en mémoire le bouleversant plaidoyer pour la paix de Jean-Pierre Siméon grâce aux images et à la chorégraphie de la mise en scène, grâce à la conviction des comédiennes, à leurs voix qui ont joué avec la variété des rythmes et des timbres, grâce enfin au magnifique accompagnement musical de plusieurs Stabat mater, des plus anciens au plus contemporain. Sur le tempo de la musique finale, la marche lente et silencieuse des sept femmes, qui dessinent de leurs bras les gestes de leur vie, restera dans notre souvenir comme une marche qui jamais ne s’arrête, comme un cœur qui bat, car elle est dans sa fermeté et sa résolution plus forte et invincible que le plus acéré des couteaux.
Bien que la troupe ait déjà donné à Coye-la-forêt deux représentations de cette pièce, le public était très nombreux et a applaudi avec chaleur et intensité les interprètes qui avaient fait naître une si belle émotion. Solidarité Coye avait pensé à prolonger la soirée par un moment d’échanges autour d’un verre et de quelques douceurs. Occasion de se rapprocher des comédiennes pour les féliciter, et pour chacun d’exprimer un ressenti ou d’oser une question, une observation. Rémy est sorti de sa cabine de régie, il reçoit avec le sourire tous les compliments qui viennent vers lui et son travail, ainsi que vers ceux aussi qui l’ont assisté dans sa création, Patrick Chevillard et Colette Klöpfer. Grâce à cette généreuse équipe de passionnés de théâtre, nous avons rencontré un beau texte et vécu ensemble une soirée remplie d’humanité.
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