Dotations aux classes assidues
Pour lutter contre l’absentéisme, le gouvernement a récemment encouragé une « expérimentation » menée dans trois lycées professionnels de l’académie de Créteil où l’assiduité des élèves sera récompensée par le financement de projets de groupe pouvant aller jusqu'à 10.000 euros par an. Le contenu de ce « projet éducatif » révélé par le Parisien du 2 octobre sous le titre « De l’argent pour les bons élèves » a aussitôt déclenché une polémique. Voici le compte rendu intégral de la question que Michel Françaix, Député de l'Oise, a posé le 6 octobre lors des questions au gouvernement.
M. Michel Françaix. Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement suggère de rétribuer, de payer les élèves assidus à l’école. Comme pour La Poste, c’est sans doute ce que vous appelez la modernisation du service public !
Monsieur le haut-commissaire aux solidarités, en créant ce réflexe pavlovien du « tout à l’argent », vous mordez à l’hameçon, vous cédez à la mode où tout serait marchandise, où tout serait mercantile et monnayable.
On aurait pu espérer de votre part un peu plus de résistance. Vouloir réduire l’éducation à une affaire de gros sous est plus qu’une aberration, plus qu’un mauvais coup. Vous le sentez bien, c’est un faux sens à l’égard de l’école républicaine, c’est un contresens par rapport à celle de la société de la connaissance à laquelle vous dites être attaché, c’est un non-sens vis-à-vis de la politique de civilisation, vantée et glorifiée par le Président de la République, qui ne sera, bien sûr, jamais mise en place.
À l’heure où le Président de la République fait semblant de se battre contre les traders, vous imaginez d’offrir des bonus aux enfants méritants ! Expliquez plutôt à notre ministre de l’éducation, aujourd’hui aux abonnés absents, que nous avons besoin d’un vrai pacte éducatif. L’école, c’est l’apprentissage de l’effort, du plaisir et du respect. Non à l’américanisation de notre société et à ce XXIe siècle bling-bling ! On ne troque pas la transmission du savoir contre une poignée de dollars…
Pour terminer, permettez-moi une suggestion, monsieur le Premier ministre : si l’on commençait par payer dignement les professeurs, avant de s’occuper de payer les élèves ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse. Monsieur le député, parce que vous savez qu’une politique résolue de lutte contre le décrochage est menée par le ministre de l’éducation nationale et l’ensemble du Gouvernement avec les enseignants (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC), il ne vous reste comme seule arme que la caricature et les ricanements pour essayer de déformer notre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Il n’est pas question de payer les élèves : nous avons lancé toute une série de projets avec les acteurs associatifs et la collectivité éducative pour soutenir des projets innovants, dont celui-là, parmi 250 autres projets également soutenus.
M. Jacques Desallangre. Vous payez !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives. Il ne s’agit pas de payer les élèves, mais de financer un projet collectif de la classe, co-construit par les professeurs et les élèves.
En vous voyant si hostiles, je vous rappelle que vous avez lu Éric Morin ; vous l’avez invité aux universités d’été, tant du parti socialiste que de l’UMP, vous l’avez écouté parce qu’il apportait des idées neuves, croyait à l’expérimentation et défendait les incitations en faveur des élèves modestes, et vous l’avez applaudi.
Pour notre part, nous ne nous arrêtons pas aux bouquins : nous essayons d’agir concrètement, avec détermination, avec les praticiens de terrain, dans la guerre contre le décrochage. Vous n’avez pas osé le souligner, mais nous pouvons maintenant octroyer le dixième mois de bourse demandé par les étudiants depuis dix ans, sous conditions d’assiduité et d’avoir passé dix mois effectifs à l’école. Vous le voyez, il y a bien une politique en faveur des jeunes, pour l’éducation, une politique la tête haute pour le service public et la réussite de tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
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2 commentaires
Commentaire de: Marie Louise Membre
Commentaire de: yann Visiteur
Dans quelques temps nous en serons comme aux USA à voir des sociétés privées sponsoriser les cours ou les équipements. Les élèves seront “payés” pour assister avant tout au spot publicitaire de la société projeté avant chaque cours.
Dérives insidieuses qui nous embarquent doucement vers un échec de civilisation.
« A quoi ça sert, madame ? » C’est une phrase que j’entendais souvent quand j’étais enseignante. A quoi ça sert d’apprendre un poème, à quoi ça sert cette leçon d’histoire, à quoi ça sert le chant, le dessin, les équations, la géologie, l’orthographe ?
La question se posait donc déjà en termes d’utilité, de quelque chose qui serait monnayable dans la vie professionnelle ou dans la vie tout court. Difficile de leur faire comprendre à mes élèves qu’avec le savoir on ne tient pas de comptes. Qu’une fable de La Fontaine, ça ne rapporte rien, que c’est justement cela qui est bien et beau, que les vers et leur musique les accompagneront leur vie entière, rejoints par d’autres, par des cohortes de phrases, de mots qui seront une passerelle entre eux et le monde, entre eux-mêmes et les autres hommes.
Alors maintenant, on va faire des comptes. Nous sommes à l’époque des bonus, comme le dit Monsieur Françaix.
Et Monsieur Martin Hirsch, qui lui répond, se rend bien compte, je veux le croire, de ce qu’a de révoltant l’idée de payer un enfant pour qu’il reste assis en classe ; mais pour noyer le poisson, il parle de « soutenir des projets innovants… de financer un projet collectif de la classe. » Tiens, quelle bonne idée ! Que font-ils d’autre les enseignants, parfois avec le soutien financier des municipalités ou des conseils généraux, quand ils emmènent leur classe visiter Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg ? Quand ils animent bénévolement des clubs de théâtre, d’informatique ou de musique ? Quand ils montent une comédie musicale, quand ils conduisent leurs élèves « sur le terrain » justement pour regarder le cratère d’un volcan d’Auvergne ou les champs de bataille autour de Verdun ?
« Nous ne nous arrêtons pas aux bouquins », dit Martin Hirsch. Pauvre livre ! Devenu bouquin dans la bouche d’un responsable politique, sa disgrâce est totale ! La Princesse de Clèves a failli subir le même sort il y a quelques mois. Heureusement, quelques-uns montaient la garde autour d’elle.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce poème de Bertolt Brecht écrit en 1940 :