LE PLASTIQUE, C'EST FANTASTIQUE ?
Au cours d'une réunion récente de la toute nouvelle association Coye en transition, quelle ne fut pas ma stupéfaction d'apprendre que la piste du champ de courses de Chantilly était depuis plusieurs années une PSF, une piste en sable fibré. Je n'imaginais même pas que ça puisse exister. J'en suis restée atterrée. Plusieurs vidéos sur internet nous expliquent de quoi il s'agit et comment ce produit miraculeux a sauvé la filière équestre et les courses de Chantilly.
L'amiante aussi, c'était super ! Elle présentait des qualités exceptionnelles – résistance au feu, faible conductivité thermique, acoustique et électrique, pouvoir absorbant, grande élasticité et résistance mécanique, possibilité d'être filée et tissée, j'en passe – qui en faisait un matériau magique, notamment dans l'industrie de l'électroménager et le BTP.
Bien que suspectée d'être toxique dès le début du XIXe siècle (en 1906, un rapport est rédigé concernant la surmortalité des ouvriers d'une usine utilisant de l'amiante dans le Calvados, et à partir de 1918 aux États-Unis, les compagnies d'assurance décident de ne plus assurer les travailleurs de l'amiante), bien que clairement reconnue comme pathogène (en 1945, l'asbestose – variété de fibrose liée à l'amiante – est reconnue comme maladie du travail en France et en 1949, le port de masque devient obligatoire pour les professionnels exposés à l'amiante), malgré le scandale de Jussieu en 1975 et le classement en 1976 de toutes les variétés d'amiante dans les "cancérigènes avérés" par le Centre international de la recherche sur le cancer, malgré le nombre de victimes qui augmente sans cesse, malgré les dénonciations, les plaintes, les procès, ce n'est qu'à partir du 1er janvier 1997 que la fabrication, l'importation et la mise en vente de produits contenant de l'amiante sont interdites en France.
Pourquoi avoir attendu si longtemps, alors qu'on savait ?
Pourquoi ? C'est toujours la même histoire. Les gens "sérieux", les gens "responsables" vous répondront : l'économie ! On ne pouvait pas se passer de l'amiante, vous n'y pensez pas, notre économie se serait écroulée. L'économie ! Vous imaginez, tout le secteur du bâtiment reposait sur ce matériau-roi. C'était un produit miracle qui rendait des services extraordinaires ; il y avait toute une filière, le bâtiment, en plein essor, qu'on n'allait pas fermer comme ça, brutalement, démanteler, c'était impensable, impossible, ça aurait provoqué du chômage, c'était catastrophique. La filière, les emplois, la concurrence, l'économie ! Pour les gens "sérieux", les gens "responsables", ce sont les docteurs Diafoirus qui sont obnubilés par le poumon. Mais le poumon, la belle affaire ! L'économie, vous dis-je !
Pendant presque un siècle, on a utilisé l'amiante à tout va et sans précaution. Désormais on désamiante. Quand je vous disais que c'était super ! Le désamiantage, ça crée de nombreux emplois, c'est toute une filière. Et vive l'économie !
Mais pourquoi donc vous parlai-je de l'amiante ?
Oh ! comme ça, une association d'idée : le terme d'amiante désigne un composé de silicates fibreux. Ah oui ? Et la PSF, la piste de sable fibré – car j'ai dérivé, mais c'est des PSF que je voulais vous parler – la PSF, c'est de la silice mélangée à différentes fibres textiles, synthétiques et plastiques, on y trouve de tout, du PVC, des polymères, de la feutrine, des morceaux d'élastique... sous forme déchiquetée Et dans une des vidéos visibles sur YouTube, Mathieu Vincent, directeur de l'hippodrome de Chantilly, nous explique benoîtement qu'il s'agit de plastiques recyclés qui, sinon, auraient été « jetés, brûlés ou enfouis ». Non, mais sans rire : la PSF au service de l'écologie !
Entendons-nous bien ! Je ne dis pas que la PSF, c'est la même chose que l'amiante. Mais le rapprochement est instructif. Car, tout comme l'amiante, le plastique, c'est fantastique ! Pratique, léger, imperméable, bon marché, et "recyclable" en plus. Il est encore, par beaucoup, paré de toutes les vertus, on ne saurait s'en passer. À Chantilly, les pistes fibrées ont permis de relancer la filière, les chevaux peuvent galoper même quand il pleut, qu'il neige ou qu'il gèle. N'est-ce pas formidable ?
Sauf qu'on le sait désormais, la production du plastique est polluante et dangereuse, entraînant une contamination massive des océans. Des milliards de micro-débris non biodégradables tapissent les fonds océaniques et supplantent peu à peu le plancton. Il y a le plastique qu'on voit, les sacs, les bouteilles qui traînent, et puis il y a le plastique que l'on ne voit pas, et c'est pire, réduit à l'état de microparticules que les poissons ingèrent et qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire, ces particules que nous avalons avec notre eau, celles que nous ingérons avec les produits de la mer, et celles que nous respirons, de sorte qu'on en détecte désormais la présence dans le corps humain.
Les études sur les effets de la dissémination des plastiques dans la nature, de ses impacts sur la faune et les écosystèmes, commencent à être sérieusement documentées. Et avec les PSF, on contribue dramatiquement à cette contamination. Le plastique y est d'emblée répandu à l'état de débris, de particules que la pluie et le vent emportent. Et les travailleurs de l'hippodrome, les jockeys, les pisteurs, les entraineurs, les chevaux eux-mêmes doivent en inhaler. On nous dira que non, il n'y a rien à craindre, toutes les précautions sont prises, il y a des lubrifiants et ceci et cela. On connaît la chanson : tout est toujours parfaitement sous contrôle.
Donc il va falloir attendre que le plastique ait fait partout des ravages, sans doute irrémédiables, pour enfin arrêter et interdire la production. Il va falloir attendre de compter le nombre de victimes et attendre encore avant de se rendre à l'évidence. Il va falloir attendre que se multiplient les dénonciations, les plaintes, les procès. Mais pour une fois, est-ce qu'on ne pourrait pas agir autrement, se montrer intelligent et courageux, regarder le long terme et l'intérêt général ? Est-ce qu'on ne pourrait pas tirer les leçons de l'amiante ?
Un jour enfin, on a bien été obligé de se passer de l'amiante, et ce qui était considéré comme impossible a été réalisé. Un jour enfin, on a bien été obligé de désamianter les bâtiments, travail bien plus considérable que de nettoyer les écuries d'Augias. Mais pourquoi faut-il attendre que la catastrophe, depuis longtemps annoncée, soit effective pour enfin se décider à agir ?
Un jour, c'est évident, il sera nécessaire, inévitable, urgent de déplastifier les pistes de course.
En tout cas dans l'immédiat, en allant se promener en forêt, là-bas à la fin des pistes d'entraînement, on trouve un tas de sable fibré à l'air libre, accessible à tous, sans aucune barrière ni protection, et chacun peut y emmener ses enfants faire des galipettes.
sources :
https://www.desamiantage.org/amiante.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amiante
https://fr.wikipedia.org/wiki/Piste_en_sable_fibré
https://www.youtube.com/watch?v=gt1a_PqGpuI
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5 commentaires
Commentaire de: albarracin Membre
Quel article fourni ! super boulot Madame Chevalier
Commentaire de: francoise Membre
Les tissus en microfibres aussi, on trouve ça tellement pratique ! Sauf que ces microfibres ne sont pas filtrés par les stations d’épuration et qu’on les retrouve donc dans l’eau.
Et voilà qu’on répand des microfibres et des microparticules à même le sol et que seuls des particuliers semblent s’en soucier. Que font donc les autorités sanitaires et celles protectrices de l’environnement ?
Commentaire de: yann Visiteur
Ca fait plus de 25 ans que ces matières sont utilisées pour les sols des carrières ou manèges des écuries de concours.
Ce n’est pas très étonnant que ça finisse par arriver sur les pistes gérées par France Galop…
Commentaire de: Mathilde PERRICHON Visiteur
Bien écrit ! Saisissant et édifiant cette comparaison, bravo !
Commentaire de: Rachel Visiteur
Bravo pour l’article et honte pour France Galop!