L'AMAP, une association qui dérange ?
Quelle est cette joyeuse agitation tous les jeudis soir autour du centre culturel ? Les enfants jouent, des adultes passent, s'arrêtent pour discuter un moment, tandis que d'autres, derrière des tables, pèsent des légumes dans des bassines. Parfois quelqu'un s'approche et demande : « Ah ! vous vendez des légumes ? Je peux en acheter ? » Eh bien, non ! Les produits sont réservés aux adhérents de l'AMAP qui se sont engagés pour un an à l'achat d'un "panier" hebdomadaire dont ils ne savent pas de quoi il sera composé exactement mais qu'ils ont pourtant prépayé directement au producteur, de façon forfaitaire, afin de lui garantir un certain niveau de revenus. Si, une semaine, un "amapien" n'est pas là pour réceptionner son panier ou s'il n'aime pas les légumes qui s'y trouvent, c'est tant pis pour lui ! En effet la distribution de paniers par l'intermédiaire de l'AMAP ne correspond pas à une activité marchande mais à un acte de solidarité.
Mais qu'est-ce au juste qu'une AMAP, Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne ? Comme son nom l'indique, il s'agit bien d'une association, régie par la loi de 1901, à but non lucratif, animée uniquement par des bénévoles, son but étant d'établir un lien direct entre des consommateurs soucieux de l'environnement et des exploitants agricoles de proximité travaillant avec le label français et européen "agriculture biologique". Le mot d'ordre est : bio et local ! Ni l'AMAP en tant qu'association, ni les amapiens en tant qu'adhérents ne font de bénéfice. Il ne s'agit pas de "vendre" des produits, mais simplement de les réceptionner et de les distribuer, ce travail se faisant à tour de rôle par l'ensemble des adhérents, de façon totalement bénévole.

L'année dernière, la mairie voulait faire payer l'AMAP pour son occupation, en hiver, du hall du centre culturel. Il s'agissait là d'une discrimination abusive et injustifiable, dans la mesure où toutes les salles du centre culturel sont accessibles gratuitement à toutes les autres associations coyennes, même si elles y exercent des activités payantes (cours de musique, théâtre, spectacles, activités artisanales ou artistiques, marché de Noël et autres) que ce soit de façon régulière ou de façon occasionnelle. L'AMAP occupe le hall du centre culturel – et encore uniquement à la mauvaise saison, le reste du temps elle s'installe sur le parvis – même pas deux heures par semaine le jeudi soir, le temps de mettre des tables en place, de distribuer et de nettoyer, la distribution elle-même se déroulant de 18 h 30 à 19 h 30.
Cette année, pendant le festival théâtral, la mairie a demandé à l'AMAP de s'installer sur le marché plutôt que sur le parvis du centre culturel, ce qui se comprend en raison de l'affluence exceptionnelle que provoque le festival lui-même et les animations autour (musique, petite restauration). Mais on apprend qu'en fait, la municipalité impose ce déménagement, non pas seulement de façon temporaire pendant le festival, mais désormais tout au long de l'année. À partir de là, l'amalgame avec les commerçants du marché est facile : eux paient une taxe, dite "droit de place" pour l'occupation de leur emplacement réservé, et donc on va exiger un droit de place à l'AMAP. Et voilà, le tour est joué ! Il lui en coûterait environ 700 € par an. Rien que ça ! C'est clairement fait pour sabrer l'association.
Comment la mairie justifie-t-elle, après plusieurs années de fonctionnement sans problème, cette décision tout d'un coup de refuser l'occupation du hall du centre culturel ? Il paraîtrait que les autres associations présentes le jeudi soir se seraient plaintes de différentes nuisances (saleté, bruit, froid). Quelles autres associations ? On l'ignore. Le jeudi soir, il n'y a quand même pas foule au centre culturel ! Ce sont de toute évidence des arguments fallacieux.
L'activité de l'AMAP ne génère pas plus de saleté que n'importe quelle autre, étant convenu que ceux qui se chargent de la distribution rangent et nettoient à la fin.
Pour ce qui concerne le bruit : il n'y a pas besoin de haranguer le chaland ! Les amapiens peuvent s'attarder un moment pour discuter mais ils n'ont aucune raison d'élever la voix, sauf éventuellement pour recadrer leurs enfants qui, cependant, ne font ni plus ni moins de bruit que ceux des autres usagers. Si on passe par là, l'AMAP fait plutôt moins de bruit que l'école de musique, avec trompettes et djembés – et on ne s'en plaint pas ! Il faut apprendre à vivre ensemble. Serait-il normal qu'en raison des récriminations de quelques-uns souffrant passagèrement d'un peu d'inconfort, on prive plus de trente familles d'une activité écologique, solidaire et conviviale, liée à l'intérêt général et qui participe à la vie du village ?
Quant au froid, il est bien certain que les allées-venues provoquent des ouvertures répétées de la porte d'entrée, mais enfin pas plus que celles de tous les autres usagers du centre. Au demeurant personne n'est censé stationner longtemps dans le hall qui n'est qu'un lieu de passage ; ce n'est pas là que se déroulent les activités des autres associations, donc s'il y fait un peu froid (n'exagérons rien !) ce sont surtout les bénévoles de l'AMAP qui pourraient s'en plaindre. En revanche s'ils doivent désormais opérer sur le marché, là, oui, ils auront froid le soir en plein hiver !
En tout cas, jamais personne, ni des particuliers ni des associations en tant que telles, ne sont venus présenter leurs doléances directement auprès des amapiens. La distribution des produits de l'AMAP ne dure qu'une heure une fois par semaine, ce n'est quand même pas insupportable ! Et si vraiment les amapiens sont gênants dans le hall, ils veulent bien s'installer ailleurs, dans un autre local plus approprié que pourrait leur proposer la mairie.
En réalité la saleté, le bruit, le froid sont des arguments de mauvaise foi, inventés de toute pièce, et il n'y a pas plus d'associations qui se plaignent qu'il n'y a de commerçants du marché persuadés que l'AMAP leur fait réellement concurrence. Ils étaient deux, jeudi dernier (le 22 mai) à venir voir de leurs propres yeux de quoi il retournait, qui étaient ces redoutables amapiens qui leur faisaient une concurrence déloyale et mettaient leur commerce en péril. De toute évidence on leur avait monté la tête. Ils ont rigolé en voyant la modestie de l'étal et le nombre limité de "clients" ! Visiblement ils avaient bien d'autres griefs, autrement sérieux, à formuler contre la municipalité.
Ils ont pu constater qu'en fait, nombreux des adhérents de l'AMAP qui ont défilé pendant une heure figuraient parmi leurs plus fidèles acheteurs. En effet il y a deux sortes d'adhérents : ceux qui ne consomment que du bio : ceux-là, en dehors de l'AMAP, vont se fournir dans les rayons bio du supermarché ou dans les magasins spécialisés.

Et puis il y a ceux qui privilégient la proximité et le contact : ceux-là soutiennent l'agronomie bio locale mais ont également la démarche de privilégier le marché du village plutôt que les supermarchés ou les chaînes commerciales. Ceux-là ne font pas vraiment concurrence au marché, vu la modestie de leur panier. On nous dira : Malgré tout, c'est autant qui ne se vend pas. Certes, comme ce qui est cultivé dans les jardins familiaux, comme tout ce qui se fait à la maison, ce qui s'échange et se donne, tous les produits de l'activité non marchande, qui créent de l'initiative et du lien social. À l'inverse, il est probable que si les amapiens, pour protester contre la mesure prise à l'encontre de leur association et en démontrer l'inanité, décidaient de boycotter le marché, ce serait assez sensible au niveau des commerçants, car pour une famille, ce n'est pas l'équivalent d'un panier qu'ils achètent mais bien de six ou sept.
En tout état de cause, les produits achetés par le biais de l'AMAP ont le label bio, ce qu'aucun commerçant ne propose sur le marché. Il n'y a pas concurrence puisque ce ne sont pas les mêmes produits. Il est certain que si des producteurs bio et locaux venaient vendre sur le marché, il n'y aurait plus besoin de l'AMAP.
En nous forçant à nous installer sur le marché, le maire veut assimiler les amapiens à des commerçants, y compris dans l'esprit des passants. Et dès lors il veut faire apparaître comme normale et équitable la perception d'un "droit de place".
Pour pouvoir taxer l'AMAP la mairie doit modifier le règlement communal du marché, lequel résulte d'une délibération du conseil municipal. C'est faisable, bien sûr. Ce règlement qui comprend un certain nombre d'informations obligatoires, notamment le tarif du droit de place, doit être affiché sur le marché (d'ailleurs, soit dit en passant, sur ce point, la municipalité n'est pas en règle). Mais pour obtenir une place sur un marché et, de ce fait, être taxé, il faut être inscrit au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au registre national des entreprises (RNE), ce qui n'est pas le cas de l'AMAP. Réclamer cette taxe à une association à but non lucratif, c'est-à-dire qui ne fait pas de chiffre d'affaires et n'empoche pas de bénéfices, est tout simplement illégal et la décision municipale pourrait faire l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif. Car si vraiment, comme le dit M. le maire, sa décision de faire payer un droit de place n'est pas négociable, il ne restera plus que le contentieux. Ce serait dommage d'en arriver là.
La distribution des paniers est un grand moment de sociabilité, c'est un rendez-vous hebdomadaire très vivant qui permet la rencontre et l'échange. Ça fait partie de l'animation du village – au même titre que le marché d'ailleurs. Bio, local et solidaire, telle est la devise des AMAP ! Dans un souci de préservation de l'environnement et en solidarité avec les agriculteurs à proximité qui produisent du biologique, des AMAP se sont créées depuis de nombreuses années partout en France. Monsieur Deshayes avait apporté son soutien lors de la création de celle de Coye-la-Forêt. Voilà que soudain, transformé en Don Quichote et décidé à s'attaquer au problème sur toute l'ère cantilienne, il veut aujourd'hui partir à l'assaut des moulins AMAP, non seulement ici mais également dans toutes les autres communes avoisinantes.
On ne peut que déplorer ce revirement, quand il faudrait, plus que jamais, aussi bien pour la santé des consommateurs que pour faire face au changement climatique, encourager l'autonomie alimentaire et la consommation de produits sains (production locale et sans entrants chimiques). Il faut espérer que M. le maire reviendra sur sa décision.
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2 commentaires
Commentaire de: Marie Louise Membre
Un article qui donne envie de devenir amapien !
Faire vivre un agriculteur LOCAL est quand même aujourd’hui un objectif qui fait consensus. Et je suis sûre que le maire de Coye est de cet avis.
C’est la raison pour laquelle je vais au marché chaque samedi, et au G20 régulièrement, pour faire vivre le commerce LOCAL.
Alors, en ce qui concerne l’Amap qui, soutenue par des bénévoles, fait vivre l’agriculture LOCALE pourquoi prêter l’oreille à quelques grincheux plutôt qu’à de nombreux satisfaits ?
Commentaire de: francoise Membre
Il y a ceux qui massacrent ouvertement, qui tuent avec des armes, qui affament avec des blocus.
Il y a ceux qui, insidieusement, préparent un monde invivable. Quand on n’artificialise pas les sols, on les empoisonne ; on ne lève pas le petit doigt pour enrayer le dérèglement climatique ; on plastique à tout-va ; on spécule, on licencie et délocalise, créant ainsi bien plus de chômage et de misère sociale que les migrants qui font preuve d’un courage et d’une énergie utiles aux populations vieillissantes ; on fait venir de très loin des produits alimentaires alors que nos petits paysans désespèrent ; on crée les conditions qui font disparaitre inexorablement une innombrable quantité d’animaux et bientôt d’humains.
L’écologie a Duplomb dans l’aile. Faut-il pour autant suivre la tendance ?
Est-ce pour apporter sa petite touche personnelle à l’effondrement généralisé qu’on tente de torpiller une modeste association qui va à contre-courant, qui privilégie l’agriculture biologique et la distribution en circuit court et qui ne demande rien d’autre qu’un lieu pour être à l’abri des intempéries pendant une durée limitée ?
Où est la concurrence puisque, dans la commune, aucun commerçant ne propose des produits équivalents ? Et si un tel commerçant existait, gageons qu’il ne verrait pas d’inconvénient à l’existence d’une AMAP.
S’il y a des nuisances, ne peut-on, en citoyen responsable, aller se plaindre directement aux amapiens afin de trouver, à l’amiable, des compromis plutôt que d’aller se plaindre auprès de la mairie ?
Cela se nomme le partage des communs et les relations de bon voisinage.
En est-on vraiment incapable à Coye-la-Forêt ?