Grand-peur et misère du III° Reich, de Bertolt Brecht
Par la Compagnie FANTASMAGORIES
Mise en scène de Camille Bernot
Vendredi 13 janvier 2012
Tout est si sombre, si noir, les robes, les costumes des hommes, les bottes… les rideaux qui cernent le plateau. Il n’y a pas d’espoir, pas d’échappée possible. Les hommes vivent là, dans l’Allemagne nazie d’avant-guerre, prisonniers de « croix avec des crochets », aux prises avec le chômage, la faim, la peur, surveillés par le voisin, le concierge, le mari, soupçonnés et soupçonnant. À la manière d’un journaliste, Bertolt Brecht observe les hommes dans leur quotidien, décrit les victimes comme les bourreaux, ceux qui terrorisent – ils ont avalé les théories nazies ou l’ont feint – et ceux qui ont peur, se rétrécissent, se cachent, dénoncent. De la pièce, écrite entre 1933 et 1938, la compagnie FANTASMAGORIES – invitée à Coye par l’association TOUS EN SCENE – a retenu une dizaine de tableaux, scènes de la vie ordinaire qui composent un portrait de la société allemande aux prises avec la peste brune.
Cinq acteurs passionnés pour une vingtaine de personnages qu’ils font vivre de manière très convaincante. D’abord Judith, la jeune bourgeoise juive, élégante et belle dans sa robe beige à drapé blanc. Elle téléphone à ses amies avant de partir pour Amsterdam. Car elle sait. Comme Brecht, elle sait que la folie nazie durera plus de quelques semaines et que le départ est la seule issue. Elle sait mais elle ne dit rien, ce n’est qu’un voyage, il faudra juste la remplacer au bridge… La voix se veut légère – il ne s’agit que d’un voyage – mais l’angoisse affleure peu à peu. Et puis Théo, le fiancé de Mina. Membre de la Section, l’homme est fier de ses bottes neuves, il respire la santé, l’arrogance, salue à la perfection, le bras droit a la rigidité qui s’impose. Son emploi : il surveille les files d’attente du bureau de chômage et se réjouit d’avoir mis au point une technique de délation infaillible. Dans les foyers, la misère, la faim, la peur. La petite fille a honte des souliers du bureau de bienfaisance, elle préfère porter ses chaussures trouées tapissées de papier ; et il manque à sa mère – recroquevillée sur sa chaise, elle pèle de maigres légumes – les deux pfennigs qu’il faut donner à la maîtresse pour un voyage à la campagne. Le fils est membre des Jeunesses hitlériennes… ses parents sombrent dans la folie paranoïaque, hurlent de terreur à la pensée qu’il les a peut-être dénoncés. La grand-mère a faim et se jette sur le colis de secours. Elle bredouille que la vie a augmenté. Suspecte. Arrêtées, elle et sa fille. Fusillées ! À l’usine, on récite la bonne parole « tout le monde a du travail et du pain sous le III° Reich » et les corps ploient de fatigue.
La mise en scène de Camille Bernot prend le parti de la nudité. Se limiter à l’essentiel, le jeu de l’acteur. Aucun décor. Une table, deux chaises, c’est assez pour que le spectateur voie la loge des concierges, la salle d’interrogatoire, l’auberge, le logis misérable ou l’intérieur bourgeois. Costumes neutres, noirs le plus souvent, ou bruns. Quelques touches de blanc, un col, un tablier de servante, une robe. Ce qui compte, c’est ce qui est suggéré par le geste – la douleur d’un corps qui se tord ou qui glisse au sol, inerte ; ce qui compte, c’est la voix et son intensité, les sentiments qui s’expriment, qui nous émeuvent, nous accrochent. L’émotion va crescendo. Le spectacle commence par l’entrée en scène lente et grave des acteurs. Sur le requiem de Mozart ils évoquent la parade des nazis. Au dehors, les fanfares, les croix gammées. Au-dedans, la plainte et les pleurs - lacrimosa. La représentation se termine sur ce qui sera l’issue de cette folie collective, la mise à mort.
Le public de Coye a chaleureusement salué l’engagement et le travail des comédiens pour que la pièce de Brecht nous parle encore. Et elle nous parle encore. Les nazis ne sont plus au pouvoir. Mais la folie des hommes est encore là, le fanatisme, la barbarie, la peur. Rien ne change. C’est sans doute pour cela que nous sommes émus.
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