La Révolte des anges
La Révolte des anges concert Jazz sur un texte d’Enzo Cormann. Samedi 16 mars au Centre Culturel de Coye.
L’association Tous en scène présentait samedi son troisième spectacle en deux mois (il en reste encore un à venir !). Une telle initiative force le respect et l’admiration quand on imagine l’altruisme du projet et le travail qu’il nécessite en amont et en aval.
L’arbre porte des fruits : c’est ainsi qu’avec un public curieux et intéressé, nous découvrons La Révolte des anges, spectacle hybride texte + musique théâtralisés.
À gauche de la scène – côté jardin – ce qui reste fixe : le piano à queue et un clavier Fender-Rhodes joué par Bob Boisadan, auteur de la musique. À droite – côté cour – ce qui bouge : les trois personnages mis en scène. Quelques va-et-vient s’organisent entre les deux lieux car la comédienne Ambre Pietri est aussi pianiste.
Auprès du support instrumental, les trois personnages évoluent. Ils expriment le texte d’Enzo Cormann, qui impose son verbe survolté, tendu, comme déclamé d’avance par le jeu de l’écriture. On comprend vite que les personnages sur scène représentent trois icônes modernes de la littérature, de l’art graphique et de la musique de jazz encore présents dans les mémoires, respectivement Bernard-Marie Koltès, Jean-Michel Basquiat et Chet Baker, décédés plutôt jeunes en 1988/89, tous trois artistes impressionnants dont les dons, mais aussi les fragilités, étaient exceptionnels. Tout se passe ensuite comme si ces trois fantômes (trois anges…) investissaient sur scène les corps vivants des comédiens afin de s’interpeller et de revivre par procuration un peu de leur fougue créative d’antan. Basquiat entre dans la peau d’Alexis Ballesteros et Koltès endosse celle de Rémy Chevillard. Chet Baker se retrouve incarné dans la féminine Ambre Pietri, paradoxe bien inspiré que le public admet parfaitement.
La jeunesse des interprètes apporte un rien de romantisme au sujet, puisqu’on sait d’avance que la destinée des trois surdoués s’est terminée dans la douleur (la drogue, le sida…). On pense à d’autres génies interrompus tels Schubert ou Rimbaud. Chacun donc s’approprie le texte, le fait rebondir, le rythme, le transforme en musique. Le spectateur ne comprend pas tout en raison de l’envahissement sonore voulu ; certaines phrases émergent, elles parlent notamment de la vanité de la vie, fût-elle glorieuse. Les personnages citent Samuel Becket, Bernard Noël ... Ils évoquent la solitude, les moments troubles, ils dressent leurs propres portraits avec la verve et le langage des jeunes. Ils croient – sans désespoir particulier – au néant final, ça leur sert de philosophie. Ils savent seulement que « ça s’arrête » un jour d’un coup, puisqu’ils sont déjà morts…
Presque malgré eux, le théâtre les fait exister en utilisant des ressources puissantes d’évocation : l’écriture véhémente d’Enzo Cormann, accompagnée de la musique et de la sincérité touchante des interprètes. En effet, Rémy Chevillard qui représente Koltès, joue aussi du saxo alto (1) et, comme on l’a vu, Ambre Pietri, du piano. Grâce à la présence originale et à la maîtrise de Bob Boisadan au clavier, ils recréent l’univers du trompettiste chanteur Chet Baker sans prétendre à l’imiter. Face à eux, Alexis Ballesteros affirme avec élan son personnage de Basquiat. La partie oratoire finit par se glisser avec modestie dans le tissu musical. Puis le phénomène représentation se termine comme suspendu. On applaudit.
Jacques Bona
(1) note de la rédaction : il est souligné que Rémy Chevillard a appris la musique (solfège et instrument) avec Les Très Riches Heures de la Thève, l'école de musique de Coye-la-Forêt.
Ils sont trois. Au moins.
« Trois putains d’anges», revenus d’entre les morts de la fin des années 80.
Re-suscités de l’impossible, par la grâce d’un quatrième « provisoirement exilé de lui-même pour faire parler les morts ». Enzo Corman, formidable « traceur d’éphémère », a rassemblé le temps d’un rêve, Chet Baker, Jean-Michel Basquiat, Bernard-Marie Koltès. Les trois aux prises avec la même infernale énigme qui se décline en « quatre milliards cinq cent soixante millions huit cent soixante dix huit mille trois cent cinquante deux questions ». Au moins. Un musicien, un peintre, un écrivain, pour dé-peindre le noir invraisemblable d’où provient la création.
Ils sont trois. Au moins.
Trois jeunes comédiens, une femme, deux hommes, tout juste occupés à naître quand ceux-là, à qui ils prêtent aujourd’hui leur vivant, s’en allaient définitivement. Ils sont doués, ils sont généreux, ils savent ce qu’ils doivent à ceux qui les précèdent. Ils ont confié le nouage de cette pièce à la musique. La musique composée par Bob Boisadan n’est pas là pour faire joli. Elle n’est pas à côté du texte. Elle est le texte. À moins qu’elle n’en soit le silence. « Il n’y a pas de silence plus fort que le silence entre deux notes » : quand Chet Baker, interprété par une jeune femme, compose le silence, « un ange passe ».
Il y a trois questions. Au moins.
« Qu’est ce qui se passe ? » « Qu’est ce que je veux ? » « Qu’est ce que j’en ai à foutre ? » Elles font le thème de cette jam-session.
Il y a trois instruments. Au moins.
Pour servir la langue de Corman, les voix bien sûr. Mais aussi un piano, un saxophone, un piano Fender, un clavier moog. Car si « la véritable vraie vie n’est pas la vraie vie n’est pas la vraie vie n’est pas la vraie vie », c’est bien un concert de jazz qui pouvait faire valoir de la plus belle manière cette pièce magnifique.
On se souviendra longtemps du désordre foisonnant de l'Enfant Radiant, de la mélancolie du Prince de la Fêlure, de la détermination du Desperado Joyeux, noués dans cette heure de grâce par ces quatre-là.
Alors que la neige s’est encore attardée, un soir de mars, dans une petite ville de l’Oise dont le nom semble nous dire « Chut ! », Alexis Ballesteros, Bob Boisadan, Rémy Chevillard et Ambre Pietri ont su faire un bord à la nuit.
Longue et belle route à cette « Révolte des Anges », à ces quatre-là qui vont si bien « ensemble, séparés ».
Marie-José Latour
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2 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
La révolte des anges est une très belle pièce de théâtre mais certainement difficile à monter, avec de longs tunnels et des réflexions théoriques ou intellectuelles sur ce qu’est la création artistique, sur le statut de l’oeuvre d’art, la place du créateur… Avoir choisi d’en faire un “concert parlant” (à l’image de ce que fait Enzo Corman par ailleurs) est une excellente idée. Ce n’est pas grave si on ne capte pas tout le texte dans sa littéralité. On peut regarder une peinture abstraite, lire un poème obscur, écouter une chanson dans une langue étrangère et ne rien “comprendre", mais ressentir cependant des émotions, être touché, remué, par le rythme, l’énergie, les sentiments qui s’en dégagent… Si à la sortie de la salle il y avait eu des disques avec l’enregistrement du concert, j’en aurais volontiers acquis un, pour prolonger le voyage…
Commentaire de: VALLET Joëlle Visiteur
Texte très fort, servi par des comédiens parfaitement au clair sur leur rôle et la façon de l’interpréter. On est impressionné par leur jeunesse, leur vitalité et leur professionnalisme.
Plus étonnant encore : le formidable travail sur la concordance musique\texte. On est piégé. Le dosage est très harmonieux. La justesse des rythmes emporte dans une rêverie dont on ne sort pas indemne.
Joëlle Vallet