Le doux parfum des temps à venir
De Lyonel Trouillot
Mise en scène : Rémy Chevillard
Dimanche 19 juin à 17h, l’association « Tous en scène » présentait salle Claude Domenech la création d’un spectacle conçu autour d’un poème de Lyonel Trouillot , Le doux parfum des temps à venir, interprété par Jacqueline Chevallier, comédienne et par sa nièce, Flora Chevallier, violoncelliste.
(Lyonel Trouillot est un écrivain haïtien, né en 1956, professeur de littérature, journaliste, fondateur de revues ; il a écrit des textes de chansons interprétées notamment par Toto Bissainthe et a publié chez Actes-Sud plusieurs romans dont certains ont reçu des prix littéraires internationaux).
Un public fidèle a ainsi fait connaissance avec Le doux parfum des temps à venir, œuvre attachante que Jacqueline Chevallier avait découverte au hasard de ses lectures. Enthousiasmée par ce texte, elle a voulu le partager. A cette fin elle a considéré qu’elle ne se contenterait pas d’une simple lecture à haute voix du poème mais que celui-ci se prêtait à la représentation. En effet, il s’agit d’une sorte de récit en forme de confession et de transmission qu'une mère proche de la mort adresse à sa fille : deux personnages sont donc concernés, mais seule la mère parle.
L’occasion était offerte de travailler en famille. Pour l’élaboration du projet, Jacqueline Chevallier s’est d’abord adressée à son fils Rémy Chevillard, comédien professionnel qui a conçu pour elle scénographie, mise en scène et lumières, puis à sa nièce Flora Chevallier, musicienne installée à Tours où elle est professeur de violoncelle. L’une des idées retenues était que le personnage de la fille existât réellement sur scène, ne communiquant que par sa présence et par le jeu musical improvisé du violoncelle avec le personnage de sa mère, interprétée par Jacqueline Chevallier.
Disons la belle réussite de ce spectacle : le décor, intemporel, représente un paysage quasi lunaire, grâce à un amoncellement savant de draps couleur sable. Il pourrait être un rêve de plage, lieu de l’extrémité de la vie d’une mère qui désire que sa fille la quitte « les yeux morts face à la mer ». Cette femme, à la robe couleur sable, en déclamant un magnifique récit scandé, commence à se fondre dans le lieu qui l’entoure. Après s’être confessée de lui avoir menti pour lui faire aimer la vie, elle raconte à sa fille la vérité sur son passé. Son choix de vivre en femme libre, elle l’a payé de sa honte, fleur brûlante que des hommes brutaux ont inscrit à jamais dans sa chair. Beaucoup d’amertume dans sa voix lorsqu'elle parle de ces mâles orgueilleux et hypocrites qui cultivent en eux l'odeur de la haine et ont oublié depuis longtemps celle de l'amour. Il y a de la nostalgie aussi dans le souvenir de sa jeunesse exaltée et intense, passée dans des terres arides et désertiques. Mais surtout, il y a l'amour, beaucoup d'amour dans la voix de cette mère, lorsqu'elle évoque l'arrivée de sa fille, son odeur « de fruit pur, de rosée franche » et la joie de sa présence, de son soutien. Une vie qui s'achève sans regrets, mais avec la volonté de lui transmettre en héritage un bien plus précieux que toutes les richesses du monde : la recherche inlassable du parfum de sa propre essence .
Le jeu souple des interprètes, libéré des contraintes de la lecture, permet à Jacqueline Chevallier une déclamation intelligible faite de conviction et d’énergie. Le rapport mère-fille se construit grâce au talent à sa mesure de Flora Chevallier, excellente comédienne et musicienne dont le violoncelle inspiré représente la réponse tantôt grave, tantôt juvénile au discours maternel. Les deux interprètes chantent ensemble et évoluent autour de mélopées traditionnelles. La sobre mise en scène de Rémy Chevillard rapproche leurs corps et leurs pensées, comme pour mieux les souder avant la séparation définitive.
Art des comédiennes, beauté d’un décor simple et lumineux, Poésie, Musique, les muses sont présentes au chevet de cette nouvelle création de « Tous en Scène ». Avec un grand plaisir de théâtre, Le doux parfum des temps à venir laisse dans son sillage un effluve fort agréable qui ressemble à de l’espoir.
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Qui était cette femme qui ma bouleversée dimanche en cette fin d’après-midi ?
Jacqueline Chevallier a-t-on pu lire sur le programme. Il est vrai qu’elle avait ses traits, il est vrai qu’on pouvait penser que c’était elle. Je la connais moi Jacqueline. Celle que j’ai vue avait des expressions que je ne connaissais pas, des gestes qui n’étaient pas les siens, des attitudes que je découvrais.
Elle était.
«Mes yeux face à la mer », ces mots plusieurs fois prononcés nous rappelle la fin prochaine de cette mère débordant d’amour et n’ ayant qu’une nuit pour révéler à sa fille la vérité sur sa vie.
Je ne ferai pas ici l’analyse de cette adaptation du livre de Lyonel Trouillot, j’en serais bien incapable. Je voulais juste dire l’émotion qui m’a menée aux larmes. Tout y a participé. Pour moi, la beauté ne peut être que dans la sobriété . Le décor l’était, les costumes l’étaient, le texte aussi riche que sobre dans un vocabulaire sans sophistication. Je le lirai en m’attardant sur les mots, les phrases qui demandent qu’on les regarde de plus près.
Flora Chevallier nous a charmés par ses variétés musicales, nous bousculant par sa diversité.
Décidément, la famille Chevillard-Chevallier une fois encore nous a offert un très très beau moment.