La petite hirondelle ne fait pas le printemps
On a tous dans le cœur une petite fille, son visage d’ange figé dans un monde sans été. Ici, le soleil ruisselle dans les courbes du printemps. Les glycines bleu tendre laissent pendre leurs pampres dans le chant des oiseaux. Les arbres sont couverts des floraisons prometteuses des gourmandises de l’automne. La petite fille n’a pas bougé. Les dames ont décolleté leurs toilettes en pétales de tulipes colorées. Les hommes restent en noir mais allègent leur silhouette dans des vêtements de sport. Les enfants crient en jouant dans la cour de l’école. Ils courent en riant de se sentir vivants. La petite fille discrète, à la timidité de violette, répond sagement à la maîtresse.
Les gilets jaunes jaunissent. Notre Dame brûle le cœur des gens. Le monde tourne mal. Mais personne ne veut lire un appel au secours dans l’étrange tristesse de la petite fille sage. Elle a pourtant pour les hommes une drôle de peur, teintée de dégoût. A la mairie, il y a des mariages avec des confettis, des rires, du riz. Les foules bariolées remplissent en grondant les stades de football. Toutankhamon reçoit à heure fixe à la Villette et les médias commencent la danse hypnotisante de leurs écrans électoraux. Le monde tourne sans voir les souffrances des enfants, sans savoir que dans une classe de trente-cinq élèves, six filles et deux garçons subissent l’inceste (sondage Harris interactive 2018 de l’AIVI), et combien subissent des violences autres ! Dans nos villages français comme dans nos fières métropoles modernes, c’est inaudible, illisible, impensable. La petite fille se fait discrète pour ne pas faire de mal aux parents. Les agressions sexuelles sur les enfants, la pédocriminalité, « pas de ça chez nous ! », ce sont des affaires de juges, de pédopsychiatres ou d’unités spéciales de gendarmerie. La petite fille se tait dans le silence des agneaux. Les crimes et les délits sexuels sont la partie immergée de l’iceberg de notre construction sociale. Pendant que flambe la toiture et la charpente, les crimes se perpétuent dans les bas-étages, les caves et les cryptes. Cette violence indicible structure les esprits dans la perversion et fonde la société dans la culture du viol. Le monde se divise alors en bourreaux et en victimes. Chacun croit n’avoir de choix qu’entre le vautour ou l’agneau. On fait comme si c’était malheureusement la nature des choses et on végète dans un désespoir cynique et marécageux. La petite fille est muette, pour ne pas embêter la maîtresse. Pourtant elle n’a rien fait, la p’tite hirondelle. Elle n’a rien fait, mais elle croit que c’est à cause d’elle.
PARTAGER |
Laisser un commentaire