Échouer, de Nicolas Barry (2)
vendredi 16 mars à 20 heures 30 au centre culturel
Par la compagnie des jeux de maux
Création collective de Nicolas Barry, Rémy Chevillard et Nadia Reeb.
Vive les jeunes, ils ont du talent !
Ils sont trois, le plus vieux n'a pas vingt-sept ans, on ne les connaît pas encore, la foule des grands jours ne se presse pas ce soir-là au Centre culturel. Dommage, car ils savent tout faire, écrire une pièce, la jouer, la mettre en scène, inventer un décor, créer un éclairage magique. Le premier a écrit. C’est Nicolas Barry, jeune homme décidé, passionné, rieur. La deuxième, c'est Nadia Reeb, douce et délicate. Ils jouent tous les deux. Et bien. Le troisième, nous l’avons applaudi la semaine passée en diseur de poésie. C’est Rémy Chevillard, en régie ce soir-là, à qui nous devons de magnifiques éclairages. Ils ont suivi tous les trois les cours de l’école de théâtre Claude Mathieu et, tout juste sortis de l’école, en novembre 2011, avec l’enthousiasme de la jeunesse et le soutien de leur amitié, ils ont réalisé ensemble cette création. Perfectionnistes, ils ont passé une semaine au Centre culturel pendant les vacances de février pour s’approprier les lieux et mettre au point la mise en scène et la scénographie.
Étrange, cette pièce. Un lieu irréel et beau, cerné d’ombre. Le sol est tapissé de journaux. Deux acteurs marchent sur les nouvelles du monde, y dansent, les piétinent, les lisent, les froissent, les déchirent, les font s’envoler. Des lignes de lumière tracent les limites du plateau, traits volontairement malhabiles, hachurés qui parfois s’éteignent au profit d’un ilot central vers lequel convergent les projecteurs.
Lieu irréel car rien n’est stable. Porte et fenêtres suspendues dont on ne voit que les cadres et qui se balancent dans le vide, frontières mobiles entre le dedans et le dehors. Un téléphone qui oscille, un téléphone noir d’avant, avec un écouteur et un cordon en vrille. Il sonne parfois. Qui appelle ? Ils. Qui sont-ils ? On ne sait. Que veulent-ils ? Ils viennent chercher ce jeune homme perdu qui a fui sa vie, qui veut fuir la vie à jamais. Au fil de la pièce les sonneries se rapprochent, créent une tension dramatique, une accélération de l’action…jusqu’à ce que le dernier appel contraigne l’homme à passer de l’autre côté.
Comme « tous les autres paumés » il est venu ici, dans ce lieu vide, il a payé pour son passage. Dans cette zone de transit, entre liberté et emprisonnement – le début de la pièce fait penser à une séquestration – une seule personne face à lui, une femme. Impérieuse, sèche, elle donne les ordres, en reçoit aussi, de l’extérieur par téléphone. Elle est l’intermédiaire, le passeur, le gardien, le soignant. Il se raconte. Mais « ici, on s’en fout de tes problèmes », dit-elle. Il veut qu’elle parle. Mais elle n’est là que pour le garder, organiser son départ : « Je suis la dernière personne dans le dernier des lieux. » Pas d’intimité, pas d’attachement possible puisqu’il faudra tout quitter. C’est ce qui est convenu, c’est ce qu’elle fait d’habitude. Pourtant il brise la convention et parvient à créer un lien. Alors, ils rêvent ensemble de beauté, de nature, de lapins dans les champs, du monde tel qu’ils l’aiment. Ils dansent, l’amour paraît possible. Les masques tombent. Mais il n’y a pas de place pour elle dans la barque qui emmènera le jeune homme sur le fleuve… Il partira seul et la laisse à son désespoir de ne pouvoir le suivre.
Une fable sur le grand passage, l’ultime rencontre de la vie avant qu’ « ils » nous emmènent. La rencontre qui pourrait sauver et qui ne sauvera rien, car elle vient trop tard.
Les deux jeunes comédiens accompagnent avec conviction ces personnages dans leur évolution. Lui, fragile, hésitant, inquiet, devient celui qui ose, et Nicolas Barry donne de la force à ce jeune homme obstiné qui ne se résigne pas et s’attache à la vie… au moment de la quitter. Nadia Reeb sait jouer la froideur et l’indifférence d’une gardienne, puis révèle sa fragilité : « Je suis comme ces pages chiffonnées », ses rêves devant le cadre d’une fenêtre, et la souffrance de sa vie solitaire : « Je suis celle qui reste seule dans un studio à faire croire aux gens qu’ils vont vivre. » Tous les deux ont su intéresser le spectateur, un peu dérouté dans les premières scènes – où sont-ils ? que veulent-ils ? qu’attendent-ils ? – au destin de personnages qui ont « échoué » sur on ne sait quel rivage, dans la dernière chambre où l’on attend.
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