Échouer, de Nicolas Barry (1)
vendredi 16 mars à 20 heures 30 au centre culturel
Par la compagnie des jeux de maux
Création collective de Nicolas Barry, Rémy Chevillard et Nadia Reeb.
Quand on entre dans la salle, ils sont déjà là, Il et Elle, immobiles, face au public. Entre quatre murs dessinés dans l'espace, dans une pièce étriquée, ils sont enfermés, comme emprisonnés derrière des barreaux de lumière. Leur présence dans une attitude complètement figée, leur apparence, leur maquillage surtout, indiquent clairement qu'on ne sera pas dans le réalisme.
En effet ils sont l'un et l'autre maquillés de telle sorte qu'ils semblent porter un masque blanc. Lui comme un vieux clown triste, vêtu d'un pantalon trop court et d'un gilet trop étroit, avec des chaussettes rouges et deux chaussures dépareillées aux pieds ; il est comme une espèce de mime un peu déglingué, et pourtant juvénile encore. Un personnage lunaire, égaré, bafouillant, maladroit. Fragile. Elle, jeune, belle, aux lèvres rouges, aux yeux soulignés, perchée sur des talons très hauts, moulée dans une robe noire. La Femme. Le prototype de la féminité. Mais elle ne joue pas la séduction. Au contraire elle est dure avec lui, rigide, cassante. Inflexible.
Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils réunis dans cet espace clos ? On le comprend assez vite, il quitte un monde qu’il fuit pour aller vers un monde qu’il rêve. Entre les deux, une sorte de sas où l’on viendra le chercher. Et cette femme chargée de le faire passer. Le fugitif et la passeuse.
C’est là qu’ils se rencontrent, dans cet entre-deux provisoire, entre un passé qu’elle ne veut pas connaître et un avenir qu’elle ne veut pas partager. Il voudrait parler, elle lui demande de se taire : elle ne veut rien connaître de lui, il ne faut pas risquer de s'attacher. Il n'est pas le premier : elle en vu passer beaucoup d'autres avant lui, c'est pourquoi elle se raidit dans sa volonté de ne rien savoir. Pour se protéger de toute possibilité de rencontre, elle s'enferme dans la lecture du journal et lui conseille d'en faire autant. Surtout ne rien partager, même pas quelques paroles anodines en attendant l'heure... Mais lui, le doux rêveur, s'obstine à vouloir parler et, peu à peu, une liaison se noue entre eux. Pudiquement, alternant tendresse et violence, attirance et refus. Difficile de comprendre ce qui se joue là, entre ces deux-là. Une chose est certaine, le contact s’est établi entre eux. La femme a lâché son journal. L’homme peut évoquer son passé, dévoiler ses rêves. Il chante – une vieille chanson mélancolique – et il danse. Lui tout seul d'abord, puis tous les deux, ils boivent et ils dansent, ensemble. Un vent de folie souffle sur le plateau, un vent de vérité. La carapace de la femme se brise, les masques disparaissent. Ils se mettent à nu.
Pourtant il est question de mensonge. Dès lors, de ce qui s'est échangé entre elle et lui, il est impossible de démêler le vrai du faux ; quand sont-ils sincères, quand sont-ils dans l'apparence ? À la fin, lorsqu’ «ils» sont là, derrière la porte, ceux qui viennent chercher le fugitif, peut-on dire vers quoi il part ?
Dans la pièce de Nicolas Barry, les lieux ne sont pas nommés, les personnes non plus, les événements ne sont ni datés ni situés : la scène est le lieu de l’imaginaire. Le théâtre n’a pas pour fonction de reproduire le réel mais de multiplier les évocations, d’éveiller des images, des réflexions… et des discussions après le spectacle ! Chacun y va de son interprétation : la plus souvent entendue, c'est qu'il s'agirait d'un passage vers la mort et même que le personnage féminin serait une personnification de la Mort, une allégorie. Pour ma part, je ne l'ai pas vu ainsi : je me suis laissé raconter une histoire, l'histoire d'une rencontre, mais ici, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire d'habitude, ce n'est pas l'amour qui triomphe, ce ne sont pas les grands sentiments, c'est l'instinct de survie.
Dans cette pièce "Échouer" que nous avons vue vendredi, tout est beau : le texte, le jeu des acteurs, les lumières, la scénographie. Tout est beau, soigné, travaillé avec soin. C'est beau, indéniablement, et tout le monde s'accorde à le reconnaître On ne peut que féliciter les trois créateurs de ce spectacle.
Tout est beau, je le répète. Dès lors comment oser une critique ?
Et pourtant j'ai le sentiment que "ça ne prend pas". De ce que j'ai entendu après le spectacle, je crois pouvoir dire que le propos reste obscur et la pièce souvent incomprise. Je ne sais comment dire ce sentiment de perplexité et de frustration que l'on ressent à la sortie. Je crois que la difficulté provient du décalage entre le texte et l'incarnation des personnages. C'est comme si la mise en scène n'avait pas su, ou pas voulu, choisir entre le conte – dans une tonalité plutôt fantastique – et le récit – dans une tonalité plutôt réaliste. Les dialogues sont écrits dans la langue de tous les jours, la situation pourrait être réelle : un homme est recherché, il tente de fuir et une femme l'aide dans cette démarche. La situation et les dialogues appellent donc un jeu réaliste.
Mais d'emblée, les personnages, par le fait de leur costume et de leur maquillage – le personnage masculin surtout, incarné en une espèce de Pierrot lunaire – nous entraînent sur une toute autre piste. Tout est signifiant au théâtre : si le masque blanc nous rappelle celui du mime Marceau, il nous emmène vers la poésie et l'allégorie ; comment dès lors revenir à la trivialité de la situation, comment y croire ? Le spectateur est dérouté et finit par ne plus savoir à quel registre se raccrocher. À trop se poser de questions, il reste sur le bord.
La critique est aisée ! Rappelons quand même que Jean-Luc Lagarce, dont on dit aujourd'hui qu'il est l'auteur le plus représenté sur les scènes de théâtre en France, a souvent joué, de son vivant, devant des salles presque vides. Quand on relit ses premières pièces, il est vrai qu'on les trouve, elles aussi, assez énigmatiques. Malgré mes propos restrictifs, j'ai envie d'encourager ces jeunes gens de la compagnie des Jeux de maux qui démarrent dans le métier et je veux croire que l'avenir leur appartient car ils présentent les uns et les autres des qualités pleines de promesses.
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