LA CRUCHE CASSÉE
de Heinrich von Kleist
Théâtre de La Lucarne
Mise en scène Claude Domenech
En clôture, le public du Festival est allé à la découverte d’un auteur dramatique allemand du début du XIX° siècle, assez peu connu des Français, si ce n’est par « Le Prince de Hombourg », drame dans lequel s’était illustré Gérard Philipe. C’est le mérite de notre troupe locale que de varier les sujets, les auteurs et les genres. La liste des pièces qu’elle a produites depuis 45 ans se lit comme une histoire du théâtre.
Mais point de drame romantique ici, juste une comédie, connue comme « la meilleure comédie du répertoire allemand. »
Le titre a quelque chose de dérisoire. Quoi ! Ecrire toute une pièce sur une cruche ! Cela ne saurait être qu’une farce, bien sûr. L’argument est simple : Un homme a pénétré indûment dans la chambre d’une jeune fille, Eve, et en s’enfuyant a cassé une cruche. Marthe Rule, la mère, en appelle à la justice et accuse du méfait un galant du village qui s’intéresse de très près à sa fille. Pourtant l’auteur du méfait est le juge en personne, qui se nomme … Adam ! On devine où cela nous mène. Comment la forfaiture du magistrat sera-t-elle dévoilée ? Grâce à un inspecteur des tribunaux qui vient justement à passer et rassemble les indices pour confondre le juge, notamment une perruque perdue dans une vigne en espalier sous les fenêtres de la jeune fille – perruque burlesque dont on parle du début à la fin de la pièce et qui passe de main en main ! La mise en scène donne à la fable un petit air d’enquête policière : l’horloge assure le chronométrage des faits, le greffier liste les informations au tableau, les témoins sont appelés à la barre pour une déposition sous un faisceau lumineux…
Le scénario est évidemment un prétexte pour ridiculiser une société étriquée, à l’horizon limité, aux préoccupations mesquines, ainsi que pour fustiger la malhonnêteté des juges ou détourner la mythologie biblique – la pomme du péché originel devient cruche. Nous sommes dans un bourg reculé des Pays-bas, sans doute au XVII° siècle – très amusant d’entendre les sonorités des noms propres que les acteurs répètent avec gourmandise jusqu’à en faire une comptine, Utrecht, Ruprecht, Lebrecht… L’auteur y installe une galerie de portraits dont les traits caricaturaux font le sel de la pièce, êtres attachés à leurs biens, vivant dans la crainte de tout, Dieu, le vol, le diable, la conscription, la disgrâce. Société bien hiérarchisée dont la mise en scène souligne le fonctionnement. À droite et au centre de la cour de justice, ceux qui détiennent le pouvoir, installés dans des sièges larges et surélevés. Le juge hypocrite à l’intelligence limitée, qui vient de quitter son lit – Jean Truchaud bedonnant et boitillant –, le greffier malin et ambitieux dont la robe en impose – ah ! l’œil coquin de Serge Vinson, très convaincant dans son rôle –, le conseiller de justice filiforme et sautillant – Pierre Debert lui prête une voix fluette et ingénue. En face, sur des bancs, les plaignants, gens du peuple au parler sans apprêt. L’on se réjouit d’entendre Claude Samsoën, dans le rôle de Marthe Rule, décrire par le menu, en femme fière de ce qu’elle possède, les scènes historiques – Charles Quint en grand apparat – peintes sur la fameuse cruche dont elle protège les débris contre son sein, enveloppés dans un linge. L’objet quotidien et trivial devient vase sacré. On pense à la farce de Maître Pathelin où l’on querelle avec passion pour un mouton ou du drap.
Avec l’histoire cocasse d’une femme qui demande réparation pour atteinte à l’objet le plus précieux de la famille – la cruche ou l’honneur de sa fille, on ne sait ! – la mise en scène prend le parti de s’amuser de détails burlesques, comme le visage sanguinolent du malheureux Adam, la perruque déposée à la barre par le témoin ou le regard charbonneux à l’excès du conseiller de justice. En arrière-plan, elle découvre une société où apparaissent les clivages entre ceux qui exercent un pouvoir (lever des impôts, juger, décider de la liberté d’un homme ou de son enfermement, envoyer à la guerre), et ceux qui y sont assujettis, le sort des derniers dépendant de l’intégrité des premiers. Il s’en faut parfois d’une perruque !
Le Festival se termine donc sur un divertissement, moins anodin qu’il n’y paraît, dans lequel les Coyens ont eu plaisir à retrouver des acteurs qu’ils connaissent bien et qui, chaque année, se lancent de nouveaux défis :
Pierre Debert, le conseiller de justice
Claudine Deraedt, Madame Brigitte, un témoin
Anne-Lucie Dumay, Eve, fille de Marthe Rule
Kristen Josse, Ruprecht, fils de Veit Tümpel
Claude Samsoën, Marthe Rule
Frédéric Sol : Veit Tümpel, paysan
Jean Truchaud, Adam, juge du village
Serge Vinson, le greffier
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1 commentaire
Commentaire de: Juliette Visiteur
La première partie de la pièce m’a semblé (trop) longue. Heureusement, la seconde partie avait plus de rythme et la fin m’a amusée. Un bravo tout particulier à deux actrices que j’apprécie: celles qui incarnaient Mme Marthe Rule et le témoin Mme Brigitte.