Changement et continuité

Je fus hier à Paris… Admirez la beauté de la phrase tirée des Lettres de Madame de Sévigné !
Or donc, j’ai pris le TER. Je ne voyage pas souvent et j’ai été surpris par le silence régnant dans le wagon. Certes, il y avait des personnes discutant de la pluie et du beau temps, mais pour l’essentiel les voyageurs tenaient en main un petit objet rectangulaire appelé « smartphone » (oh ! le nom barbare), plus communément un de ces portables derniers modèles qui ne servent pas qu’à téléphoner mais répondent aussi à toutes sortes d’interrogations.

Si je demande à mon petit-fils la date de la bataille de Poitiers, au cours de laquelle Charles Martel arrêta l’émir de Cordoue — il ne cherche même pas dans sa mémoire, l’a-t-il jamais sue ? —, il laisse glisser un doigt sur son « mobile », manœuvre un petit moment et me répond : « 732 ». C’est quand même merveilleux, le progrès, pas besoin d’être de retour chez soi pour ouvrir le dictionnaire !
Puis je me suis posé la question : qu’attendent-ils, les lecteurs de mobiles ? Quel messie va sortir du petit écran pour agrémenter leur matinée avant une journée de travail ou une promenade dans Paris ? Ils ont l’air tristes ou indifférents. Isolés les uns des autres par l’écran, ils attendent. Moi, je regarde le paysage qui défile, le temps qui passe. Le temps passé ne se rattrape pas. Est-ce ainsi qu’on doit le vivre aujourd’hui ? Cette merveilleuse petite invention peut-elle nous faire oublier qu’il y a toujours dans le monde autant de guerres, de chômage, de misère, de pollution, d’injustice ?
Dans ce monde qui bouge sans arrêt — toutes choses y branlent sans cesse, écrivait Montaigne —, qui va enfin inventer un appareil capable de nous débarrasser de tous ces maux ?
Je posai la question, mais personne ne me répondit.