SUNDERLAND, de Clément Koch
La Compagnie du Rideau Bleu
Mise en scène Véronique Febvre
En ouverture, des cris, des rires, un rock des années 80, des personnages hauts en couleur, drôles… très typés et dont peu à peu on découvre qui ils sont.
Ruby dans sa jupe panthère ras les fesses survit avec le téléphone rose, elle héberge Sally licenciée depuis la fermeture de l’usine de volailles, ainsi que sa jeune sœur Jill, adolescente peut-être autiste, hypnotisée par le tirage de la loterie à la télé et la vie des fourmis. Elles se débattent avec le chômage, le loyer à payer et les services sociaux envahissants mais pas vraiment bienfaisants. De temps en temps, le pataud Gaven, dans son maillot de supporter de foot, fait irruption, s’occupe du feu … parle foot et emmène Jill aux matches de foot.
Avec un tel tableau on pourrait avoir envie de sortir son mouchoir. Pas du tout ! Ni Clément Koch ni la Cie du Rideau Bleu ne font dans le pathos. Car l’énergie est là, l’humour, le dynamisme pour s’en sortir, même avec des idées extravagantes, on ne pleure pas sur soi, on rit des bêtises de la vie et on cherche comment échapper au marteau pilon.
Pour y échapper il y a l’humanité, la fraternité, la solidarité. On peut en sourire de tous ces noms en – té inscrits partout. Mais dans cette représentation, ils sont vivants. Les comédiens les incarnent et on quitte la salle rafraîchis par l’amour donné, demandé, reçu.
Les femmes d’abord
Une belle galerie de femmes : Marine Berthelier, en Ruby, incarne superbement l’affection inconditionnelle. Généreuse pour tous, elle est la reine protectrice, on sent qu’auprès d’elle le malheur n’atteindra pas sa cible. On a envie de poser sa tête contre son pull mohair rose pétant. Sous l’aile de cette figure féminine centrale, Sally — Estelle Martin — peut mener son combat et montrer sa force pour protéger sa jeune sœur Jill et la faire grandir. Silhouette nerveuse, bottes de cuir noir, elle est de son temps, volontaire, prête à tout, comme une mère. Floriane Greiner compose un portrait attachant de l’adolescente privée de mère trop jeune, émouvante par sa fragilité et ses élans, cible de l’assistante sociale qui la trouverait mieux enfermée en HP.
En contrepoint presque caricatural, deux autres personnages féminins : Agnès Bonhomme, derrière ses lunettes et en chignon bien serré est la responsable des services sociaux, air pincé, gestes étriqués dans son tailleur pied de poule — ça ne s’invente pas —, la femme à fuir !Aux antipodes, Anne Cabon compose avec originalité Mary, la mère en négatif : ce n’est pas une marâtre repoussante mais une belle femme qui vit dans le rêve, elle ondule avec sensualité dans une robe longue hors du temps et assume avec morgue que décidément, des enfants elle n’en voulait pas. Tant pis pour elle, tant pis pour eux.
Les hommes aussi
Les hommes sont quand même là de temps en temps. Et ils peuvent rendre service. Au personnage de Gaven, l’homme qui ne sait que parler de foot, incapable de dire un sentiment, Alexandre Deville donne toute la maladresse voulue. Gentil, serviable, il se laisse déguiser sous un hideux bonnet de laine et un jogging de « footeux ». A Paul et Gordon, des avocats qui ont réussi et qui veulent un enfant — costumes noirs d’un autre monde, celui de la city —Nicolas Plas et Jean-Paul Gomez confèrent la naïveté, la certitude et la confiance en soi que donne l’argent : ils sont les seuls représentants d’une classe sociale nantie à des années-lumière de Sunderland où ils osent mettre leur pied un court moment.
Un cocon ou un nid
Coup de chapeau à Didier Chevallier et à Véronique Febvre pour un décor impressionnant qui prend le parti du réalisme. Une atmosphère est créée. La vie des personnages peut donc se jouer dans le réel d’une vie à Sunderland en Angleterre quand les usines ferment — mais les stades restent ouverts — et que l’argent manque : murs de brique d’un logement banal, le four, l’évier, le canapé, le poste de télé qu’on ne voit pas mais qu’on sait là. On est entré dans la maison et l’on suit avec amusement, inquiétude ou émotion les tribulations de personnages qui y vivent comme dans un cocon. A l’extérieur, ce sont les matches de foot Sunderland-Newcastle, le Centre social menaçant pour la jeune Jill, Londres et le monde des riches où l’on ne se rend pas comme ça... Bref, dans ce nid avec Sally, Jill et Ruby, on ne s’ennuie pas une minute et on se réchauffe.
Les Coyens, pourtant passionnés de théâtre quand vient le Festival en mai, se montrent frileux par ailleurs. La salle Claude Domenech aurait pu être plus remplie pour un spectacle de cette qualité, programmé par Tous en scène qui s’y entend pour sélectionner des réalisations de qualité. Une fois de plus la pièce et la compagnie n’auront pas déçu l’attente des spectateurs.
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2 commentaires
Commentaire de: Gabillet Visiteur
Commentaire de: francoise Membre
Un spectacle captivant, drôle et grave où l’on rit souvent alors qu’il y aurait de quoi pleurer. Car une fois encore, pour sortir de la misère, les femmes n’ont comme dernier recours que leur corps à aliéner. Avec l’amour et l’amitié pour les aider à tenir le coup.
Dommage effectivement qu’il n’y ait pas eu plus de spectateurs car nous avons eu droit à un très bon spectacle, tant par le sujet, les comédiens que par la mise en scène.