Des enfants à la rue, on manifeste.
Jeudi 10 octobre
A Creil il y a des enseignants extraordinaires.
Pierre Emmanuel, dit Pierrot, n'a pas voulu que deux enfants de l'école primaire dont il est le directeur, dorment dans la rue. Il a mis toute la famille à l'abri dans une classe de son école. Et les enseignants se relaient chaque nuit pour rester près d'eux dans la classe.
Ce jeudi une manifestation s'est organisée à Creil pour les soutenir. Le rassemblement s'est fait dans le hall de l'école.
C'est Pierrot qui a pris la tête du cortège qui nous a conduits de la rue Gérard de Nerval à la Place Brobeil devant la Bourse du travail. Avec lui, les enseignants de l'école entourés de parents, de familles, de membres d'association, comme Solidarité sans papiers Creil, de responsables syndicaux, de tous ceux qui tiennent à dire leur indignation dans les rues de Creil et à demander un toit pour tous, à clamer haut et fort que des enfants qui vont dormir dans la rue après leur journée de classe, ça n'existe pas, comme disait Robert Desnos.
Solidarité Coye était là, bien représentée par trois de ses membres, marcheuses décidées, équipées chacune d'un sac à dos rempli de munitions : thermos de thé à la menthe et de café, ainsi que gâteaux et bonbons.
Le cortège emprunte les grands axes, la rue est aux marcheurs, ils passent le pont sur l'Oise et longent la place du marché sous l'œil de la police municipale harnachée de gilets jaunes, les drapeaux du FSU flottent au vent, les revendications sont écrites sur des cartons. Le porte voix scande les vers libres que tous reprennent en chœur. On martèle : des logements! Pour qui ? Pour tous! Pour quand ? Maintenant!
Arrêt place Brobeil. On reste groupés et l'on discute. Une chanson a été composée la nuit dernière par Florence. Elle en donne l'air et les paroles et toutes les voix l'entonnent. On sent que chacun est content d'être là et de chanter. Le groupe est de bonne taille, peut-être 200 personnes. C'est beau la nuit toutes ces voix.
Il y a des bancs sous les abribus, c'est là que les soupières fumantes et les couscous odorants se découvrent. Joyeux repas pris debout. Le camion de la maraude (le 115) s'arrête à côté. La distribution est frugale, sardines et un petit dessert. Pas de pain, il paraît que ce n'est pas hygiénique !
Solidarité Coye a placé ses trois thermos sur un banc à côté de gâteaux faits maison par une militante de Solidarité sans papiers. Elle a passé sa journée à enfourner des madeleines et des rochers à la noix de coco. Des enfants jouent près de là, de temps en temps ils viennent picorer une madeleine. Une famille russophone vient discuter avec nous : un couple avec deux enfants (eh oui, à Solidarité Coye, on parle russe). Ce soir ils dormiront peut-être encore dans la rue. Le camion de la maraude repassera vers 22h et dira combien de personnes pourront être hébergées quelque part pour la nuit.
Avant de repartir, on prend le temps d'échanger des informations et des adresses pour que le lien reste solide avec les enseignants de l'école Gérard de Nerval ainsi qu'avec l'association qui les soutient, Solidarité sans papiers.
Solidarité Coye sera solidaire de ce combat.
Pour notre retour dans la nuit, deux enseignantes nous montreront le chemin jusqu'à notre voiture, traversant un quartier que nous ne connaissons pas, une passerelle sur l'Oise toute neuve et aussi belle que le viaduc de Millau, l'espace petite enfance Danielle Mitterrand et une île sombre et mystérieuse... aux sentiers qui bifurquent.
Le soir, quand chacune fut chez soi, à l'abri, au chaud, les pensées retournèrent place Brobeil, vous vous en doutez bien. Où dorment-ils ceux à qui le 115 n'a rien proposé ? Quand les reverrons-nous? Comment les aider ?
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Le réseau Veillées des écoles du bassin creillois (Comité de défense du service public d’éducation) a décidé de communiquer chaque jour le décompte des enfants sans abri dans la ville de Creil et plus largement sur l’ensemble du département de l’Oise. C’est ainsi que
Vendredi 18 octobre 2019 - en France:
13 enfants à la rue sur l’agglomération Creilloise
11 sont pris en charge une nuit avec leur mère par le 115 - à Beauvais, Nogent ou même Compiègne - laissant les pères sur le trottoir.
2 dorment avec leurs parents à l’école élémentaire Gérard de Nerval de Creil.
Et ce triste bilan est bien plus lourd à l’échelle de l’Oise:
• Jeudi 17 octobre : 33 enfants à la rue (17 enfants à Beauvais, 13 à Creil et 3 à Compiègne)
• Mercredi 16 octobre 25 enfants à la rue (14 à Beauvais et 11 à Creil)
• Mardi 15 octobre : 26 enfants à la rue (15 à Beauvais et 11 à Creil)
• Lundi 14 octobre : 24 enfants à la rue (11 à Beauvais et 13 à Creil)
Chaque jour ce décompte est envoyé à la préfecture de l’Oise afin que des solutions rapides et pérennes soient trouvées pour mettre ces familles à l’abri. Et chaque jour les mêmes constatations… il faut attendre 22 ou 23 heures pour savoir si les enfants seront logés pour la nuit, les pères restent dans la rue, parfois les familles ne se présentent pas à la maraude du Samu social…