Le mol oreiller du doute
On doute de tout, Madame. On doute de tout. Enfin pourtant, depuis le temps qu’on doute, on aurait pu se faire une opinion. Eh bien, non ! On doute. On doute du temps, celui qu’il fait, celui qui reste, du temps avant la fin du monde, avant le dernier train pour Paris, avant qu’on n’ait plus le temps pour arrêter la montre... On doute, Monsieur. On doute. Par exemple, c’est l’heure d’hiver : est-ce qu’on rajoute ou on enlève cette fichue heure du creux de la nuit, qui d’ailleurs ne sert à personne sauf à la fièvre des amants, éperdus de gourmandise, ou aux biberons abusifs des nuits blanches des parents. On doute des mots, on doute des phrases. On ne sait plus à quel héros se vouer, se vendre, se fusionner le mental, pour enfin croire à quelque chose, croire en lui, croire à ses valeurs, à ses regards fiers sur le monde. « Papa, où t’es ? »
On est perdu sans lui. On doute. Qui va sauver le monde ? Faut-il aller chercher les vieux héros usés, les chevaliers rouillés des couloirs des musées, les vieilles paires de moustaches luisantes sous les visières de nos militaires, les yeux braqués sur les trois couleurs pour ne pas voir la chienlit à leurs pieds ? Faut-il à nouveau colorer les défilés du mois de Mai du rouge marxiste-léniniste-tendance-maoïste de nos grands-pères chevrotants ? L’histoire n’a pas de « da capo ». Faut-il croire aux colères, aux indignations, aux désirs de justice ou aux cris de vengeance, qu’ils soient noir-cagoule, rose-foulard ou jaune-gilet ? On doute de tout, maintenant. Les discours des cravates, les harangues des micros, les avisés débats télévisés et médiatisés... On doute. Le Bio, on doute. Les Verts, on doute. Même de M’sieur le Maire, on doute. Il y a bien les alcoolos qui croient encore dur comme fer au fond du verre et les enfants de moins de cinq ans au Père Noël. Mais nous, on doute. Alors, il faut s’accrocher à la réalité, à ce qu’on voit, à ce qu’on ressent. Il faut chercher le soulagement dans les yeux de celles et ceux qui ont souffert, chercher l’amour dans les yeux de celles et ceux qui donnent leur temps pour lutter contre le désespoir des autres, la faim des autres, le froid des autres et qui attendent des autres l’espoir, la satiété et la chaleur des yeux des autres. Ailleurs tout est au doute, Madame, tout est au doute. C’est indubitable.
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