Les pas perdus, de Denise Bonal
Théâtre de La Lucarne
Mise en scène d’Isabelle Domenech
Samedi 14 mai
Denise Bonal aime l'éphémère et les instantanés. Avec "Les Pas perdus", écrit en 1997, elle s'arrête dans une gare et observe ceux qui attendent, qui se pressent, qui se quittent et qui vivent là parfois. La situation du « départ » intéresse un auteur dramatique, car elle est source de tension, elle met les personnages dans une sorte de fragilité, où les émotions se vivent et parfois s’expriment : on se quitte pour une journée peut-être, pour un mois… ou pour toujours.
La pièce est faite de scènes à deux ou trois personnages, sans lien entre elles. Pas de fil conducteur, pas d'histoire à suivre. Les trajectoires se croisent mais ne se rencontrent pas. Au spectateur d'être vigilant pour capter en quelques secondes ces bribes de vie, et à partir de ce contact d'imaginer une identité, un passé, et peut-être ce qui adviendra après le départ du train.
Isabelle Domenech a choisi un décor réaliste : horloge imposante, composteur, banquette d’acier, affiches touristiques, bande sonore des annonces… et un piano. Une petite gare sans doute, un peu vide, davantage Orry-la-ville que la Gare du Nord ! Pourtant les dix comédiens l’habitent avec conviction et vivacité, réussissant, chacun en un minimum de temps, à nous intéresser à une situation et à des personnages fugitifs, performance puisque chaque acteur compose plusieurs rôles et se doit de changer de costume et de bagage au plus vite. Il n’a que quelques minutes pour exister.
Denise Bonal crée ainsi, avec un regard bienveillant, amusé ou perplexe, un patchwork de vies, une société en réduction : les « nettoyeuses » en blouse bleue, avec balai, parlent des hommes ; un clochard dort dans un coin, deux autres pique niquent au pied de l’horloge : « Sans la gare où on irait ? », demande l’un. Riton est arrêté par des flics, on ne saura jamais pourquoi et il ne prendra pas le train, elle quitte son mari pour aller visiter Bruges, les jeunes filles s’aiment et fuguent, une chômeuse désemparée, un homme qui cherche une mère, une mère qui attend son fils, un voleur de tableau, des familles avec des enfants qui posent trop de questions...
Dans ce défilé de silhouettes, l’attention se fixe un moment sur une vieille dame inquiète, émouvante par sa fragilité — interprété par Claude Samsoën — et dont l’auteure dessine l’histoire. Inquiète sur l’heure du départ, le numéro de sa place, ce qui l’attend à l’arrivée, elle presse son fils de questions, se fait confirmer ce qu’elle sait déjà. Y aura-t-il quelqu’un pour elle sur le quai ? La solitude l’attendra à destination. Elle a été oubliée… L’intérêt de la pièce est là, en quelques phrases une vie se devine, ses ratés, ses pertes, son ennui, les espoirs aussi, les évasions, les amours… Tout est possible dans une gare. Même Titouan au piano, même Roxane qui, à dix ans, prendra le train avec son lapin.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Les pas perdus, de Denise Bonal (Photos de Julien Lacouture)
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