Opéra populaire : le théâtre enchanté
La Flûte enchantée
Par Comédiens et Compagnie
Les gradins du Centre culturel ont vibré mardi sous les applaudissements du public, les hourras, les bravos… Rappels multiples, la joie de tous éclatait. Les familles étaient venues au complet et les enfants n’ont pas été les derniers à rire et à manifester leur enthousiasme. Un tel rassemblement de Coyens heureux et unanimes n’est pas si fréquent ! Il faut dire que la dizaine de saltimbanques sur le petit plateau de bois a créé la surprise et proposé une version de l’opéra de Mozart qui emprunte à tous les siècles et à tous les registres.
Mozart n’est plus dans le velours et la dorure des opéras fastueux… Les perruques et costumes du XVIII° sont là bien sûr, la musique aussi, le chant, les partitions de la Reine de la Nuit et de la jeune Pamina. Mais la commedia est reine : cabrioles, danses, poursuites, bagarres se suivent selon une chorégraphie parfaite qui règle les déplacements des comédiens. Papageno en Arlequin, interprété par Antoine Lelandais, bondit, stupéfiant de légèreté.
Jean-Hervé Appéré : A bâtons rompus
Comme La Flûte enchantée nous tenait encore captifs dans le hall du Centre, Jean-Claude Appéré a accepté, pour les spectateurs attardés que nous étions, de livrer quelques remarques sur son travail avec la troupe et sur cette création.
L’esprit de la Compagnie
Nous avons voulu monter « La Flûte enchantée » avec l’esprit de la Compagnie. C’est-à-dire faire comme les troupes de l’époque pour lesquelles le texte n’était pas sacré. Avoir par rapport au texte une très grande liberté. Travailler en fonction des comédiens. Tous ont une grosse partition. Lucy Samsoën, ajoute : « L’esprit de la Compagnie c’est de privilégier le groupe. Il n’y a pas d’individualités, pas de place pour l’ego. »
Nous gardons l’esprit de saltimbanques, c’est un théâtre où tout est fait de bric et de broc.
Par l’improvisation nous avons recréé les dialogues. Nous définissons le thème de la scène et nous improvisons. Cette pièce représente environ 600 heures de répétition, et nous avons donné plus de 300 représentations.
L’axe a été Pamina. Elle incarne les enfants ballottés dans un monde d’adultes : elle se fait enlever, on lui ordonne de tuer, elle se fait presque violer… Toute la cruauté est concentrée sur elle. Et la voix naturelle de cette « petite puce de 26 ans » rend cela très bien. Je cherche à faire coïncider l’idée que je me fais d’un personnage et les comédiens que j’ai. Je veux mettre en valeur ce que les comédiens savent faire, le chant, la danse ou les combats…
Le plateau
Le plateau est de 3 mètres sur 4. A l’extérieur, nous jouons sur des tréteaux. Cette petite surface, dans l’esprit de la commedia, concentre le regard des spectateurs. Dans le théâtre contemporain parfois, quand il n’y a pas d’éclairages appropriés, le regard erre de droite à gauche comme s’il suivait un match de tennis. Les premiers tréteaux dans la farce médiévale mesuraient trois mètres sur un mètre cinquante, il restait un mètre cinquante pour les loges derrière le rideau. Trois mètres, c’est « la distance hors claque » pour que le dominé esquive le geste du dominant.
Les masques : Notre facteur de masques, Stefano Perroco, travaille à Montreuil. Il sculpte à la main une base en bois sur laquelle un morceau de cuir trempé est tiré ensuite. Le cuir sèche sur la base que l’on frappe ensuite longtemps à l’aide d’un petit marteau en corne, ce qui change la structure moléculaire du cuir qui garde alors la forme voulue quand il est sec et retiré de la base.
Arlequin, (Papageno interprété par Antoine Lelandais adepte des arts martiaux) représente le diable, le roi de l’enfer, qui sème le chaos. C’est pourquoi il garde sur le front du masque un reste de corne rouge. Il vient du carnaval, c'est-à-dire du moment où le monde est à l’envers. Il a été ensuite repris dans la farce médiévale.
Les colonnes du décor. Cinq colonnes pivotent sur elles-mêmes et modifient le décor. Elles ne tournent pas n’importe quand évidemment. Soit il faut le faire explicitement, visiblement, parce qu’à ce moment-là le texte le signale, soit avec la technique de l’illusionniste en captant le regard du spectateur par un déplacement simultané d’acteur de sorte que la rotation des colonnes ne se voie pas.
Les instruments de musique
Jean-Hervé est intarissable sur le sujet, l’histoire du jeu théâtral, il pouvait encore parler longuement de la commedia, de la troupe de Molière, de celles de l’Hôtel de Bourgogne et des Italiens, mais le chapiteau du cirque était démonté, les comédiens démaquillés, sac au dos, prêts à partir. L’illusion s’est évanouie.
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Enchanté !… mais où est La Flûte ?
A l’instar des fameuses pyramides d’Egypte avec lesquelles elle n’est pas sans relation, La Flûte enchantée de Mozart (et quelques autres œuvres du même) pourrait être classée « trésor de l’humanité » tant son contenu sensible est riche. Nous admirons dans cet opéra à la fois un sommet musical, un chemin exemplaire d’initiation et une structure théâtrale qui le rend populaire, accessible à chacun, en particulier aux enfants. Bref, une œuvre de génie incomparable, pas du tout élitiste.
Grâce à (ou à cause de) ces qualités, il est très dangereux d’y toucher : c’est un peu comme si l’on voulait refaire le sourire de La Joconde. Et pourtant un opéra, fût-il un chef d’œuvre, est fait pour être joué. Et Dieu sait qu’il y en a eu des représentations, de toutes natures et de toutes vertus! Mais, attention ! On trouvera toujours quelque chose à redire, car chacun possède en soi Sa « Flûte enchantée ».
Aussi me suis-je dirigé ce soir là vers le Centre Culturel en remuant ces communes réflexions et dans de bonnes dispositions de spectateur, car j’avais beaucoup apprécié en Mai 2004 La Princesse d’Elide par la même troupe Comédiens et Cie. D’un autre côté la précaution du titre « d’après l’opéra de Mozart » me rendait curieux du résultat.
Le rideau à peine ouvert, je me suis rendu compte que la réalisation musicale avait un goût de « murdering the classics » pour citer Spike Jones. Mais pourquoi pas : nous écoutons donc une ouverture écrite à l’origine pour un orchestre d’une bonne trentaine de membres interprétée (arrangée et raccourcie) par cinq musiciens, dont un accordéoniste. Surprise ! La musique de Mozart résiste à toutes les lessives : on entend quelque chose qui a une couleur intéressante. Par la suite viendront s’inclure habilement des arrangements jazzy et de la percussion au fur et à mesure des besoins de la mise en scène.
Maintenant, pour abréger, je vais dire que je ne renie pas le plaisir que m’a procuré le traitement de l’action par la commedia dell’ arte ainsi que l’humour et la vivacité de la brillante réalisation (en particulier les combats de la fin, entre Lumière et Ténèbres), mais la magie poétique de la partition de Mozart était loin d’être au rendez-vous, surtout dans les passages chantés (l’essentiel!) si difficiles, même pour des professionnels du chant : là, c’était carrément la cata… ! Airs, choeurs écourtés, massacrés avec panache, si l’on peut dire…
Peut-on dire que, tout de même, l’esprit de La Flûte y était : oui ! un peu, grâce à l’aspect « farce » et à l’histoire… à condition que l’on admette d’avoir vu une sorte de « digest » comique et talentueux , mais surtout de se promettre de voir une (bonne) représentation de la « vraie » partition de Mozart. Par exemple en allant à l’opéra ou en visionnant le film d’Ingmar Bergman qui lui est consacré.