LE BAISER DE LA VEUVE
d’Israël Horovitz
Compagnie Cavalcade
Mise en scène Sylvia Bruyant
Quelle bonne idée de nous proposer cette année au festival théâtral de Coye-la-Forêt deux pièces d’Horovitz ! Cela nous a permis de faire connaissance avec cet auteur et de voir les facettes très différentes de son talent. La pièce « Le Premier » est une œuvre apparentée au théâtre de l’absurde dont l’inspiration peut être recherchée du côté de Beckett ou de Ionesco, tandis que « Le Baiser de la veuve » est d’un style bien différent.
L’absurdité de notre condition humaine et surtout de notre moi social est évoquée dans « Le Premier. » Cinq personnages font la queue, on ne sait pour quelle raison et finalement cela n’a pas d’importance. C’est l’absurdité de la vie de groupe qui est ici montrée et la volonté d’être le premier quel que soit l’enjeu. Pour cela l’homme est prêt à toutes les compromissions. Il est intéressant de voir que la mise en scène est essentielle ici dans la mesure où il n’y a pas de chose plus statique que de faire la queue, pourtant il s’agit d’une pièce où les acteurs sont très mouvants et même bondissants. Dans un décor inexistant, une simple bande blanche au sol, ils réussissent à occuper l’espace dans une superbe mise en scène de Léa Marie-Saint-Germain.
Dans « Le Baiser de la veuve, » l’atmosphère est celle de John Steinbeck ou d’Erskine Caldwell. L’action pourrait se passer dans le Sud profond des Etats-Unis. La très bonne mise en scène de Sylvia Bruyant est plus réaliste et classique, mais aussi très cinématographique. Une immense presse occupe une grande partie de la scène. Nous sommes dans une usine de recyclage de papier, trois personnages qui se sont connus au lycée se retrouvent après treize ans. Horovitz évoque le monde du travail manuel, abrutissant et sans intérêt, en effet recycler du vieux papier pour refaire du papier a aussi un côté absurde. La presse à papier, par sa taille et sa présence, symbolise l’oppression du travail. Elle presse le papier et oppresse les ouvriers. On les sent prisonniers de cet univers. La seule chose sur laquelle ils peuvent asseoir leur fierté est celle de la force physique. Ils vivent dans un trou paumé où sévit le chômage et sont donc prisonniers de leur condition et de cette usine. Dans cet univers masculin fait de violence physique et verbale surgit une jeune femme petite et mince qui apporte le contraste de sa fragilité. Mais très vite on sent une force en elle. Que vient-elle faire ? Pourquoi reste-t-elle avec ces hommes frustes ? Ici l’auteur montre une opposition entre deux mondes, deux classes sociales et une opposition homme/femme. Betty est partie depuis treize ans, elle a réussi à sortir de ce trou paumé et surtout à faire des études. Il y a une force et une supériorité chez elle qui se traduit par son langage châtié qui contraste avec celui des deux hommes. Ils ont du mal à communiquer entre eux. Georges est un personnage falot, un peu demeuré qui fait penser à Lenny dans le livre de Steinbeck « Des souris et des hommes. » Il est dominé par Bobby qui le sermonne et le dirige dans son travail. Il y a entre eux une fausse complicité liée à leur adolescence et à leur destin. Quand Betty arrive chacun des deux veut la séduire. Mais c’est oublier qu’un drame lie ces trois personnages. L’auteur a su faire monter la tension et nous livrer par bribes de dialogues ce qui s’est passé entre eux et la raison de la présence de la jeune femme dans ce lieu.
Au fur et à mesure où se dénoue l’intrigue, la tension monte, les rapports entre les êtres changent. Il y a celui qui ne comprend rien, Georges, mais qui parfois réussit à dominer les deux autres, et Bobby qui était le plus fort qui s’écroule et réalise le poids de son passé.
Un très beau spectacle servi par des acteurs de talent et une mise en scène dans laquelle l’espace est bien utilisé. Les acteurs tournent autour de cette machine omniprésente et autour de leur passé envahissant où l’on apprend que « Le Baiser de la veuve » est une vengeance qui attend son heure pour se réaliser.
Isabelle Joz-Roland
Quel magnifique moment théâtral nous avons vécu lors de la représentation de la pièce d'Horowitz : "Le baiser de la veuve"!
Un espace étrange jonché de morceaux de papiers déchiquetés, de cartons empilés, une machine d'acier inquiétante qui s'élève, haut sur la scène, et dont on se demande à quoi elle peut bien servir. Puis quelques notes de musique qui nous plongent dans l'univers de Chaplin et nous voici en présence de Bobby et de Georges, jongleurs et acrobates au début, entre lesquels on sent une tension et qui progressivement prennent possession de la scène avec une violence qui ne se démentira pas, dans un affrontement physique et verbal qui ira en crescendo. Bobby, le beau gosse qui a rendez-vous avec Betty, une ancienne connaissance qu'il a rencontrée, et Georges le simple d'esprit, soumis à Bobby, qui se fait molester et humilier en permanence .Le malaise chez le spectateur naît peu à peu de ce rapport malsain entre les deux hommes, de leurs mots très crus pour parler des filles et de sexe et de cette misère sociale et intellectuelle qui leur colle à la peau.
Bravo à ces deux comédiens hors-pair dont le jeu nous prend aux tripes et qui transmettent si bien le monde fruste dans lequel ils ont grandi sans échappée possible! Et voici la lumineuse et mystérieuse Betty dont l'élégance et le langage tranchent avec la misère ambiante. Que vient-elle faire ici auprès de ces deux êtres si primaires ? Les trois comédiens nous embarquent alors avec eux, sans nous laisser de répit, dans un tourbillon émotionnel, jusqu'à la vérité dramatique et cruelle qui éclate à la fin : le viol collectif subi par Betty et commis par plusieurs élèves de sa classe, quinze ans avant !
Un sujet difficile et scabreux que cette formidable troupe nous propose avec conviction et talent.
Anne-Marie Guillon
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