ÉTAT SOEURS
Texte et jeu : Pierre Pirol
Vendredi 4 avril 2014
Peu de monde au centre culturel en ce vendredi 4 avril 2014 pour le spectacle État sœurs, de Pierre Pirol, mis en scène par Julien Bleitrach et parrainé par la compagnie Calliope.
Dommage pour le public qui a boudé et donc raté une belle soirée forte en émotions.
Dommage pour les artistes qui, sans public, n’existent tout simplement pas.
Dommage pour les organisateurs dont les efforts n’ont pas été récompensés.
C’était un spectacle émouvant et drôle, plein de poésie, d’humour, de tendresse et de révolte. Seul en scène, l’écrivain et comédien, Pierre Pirol, incarne un personnage extraordinaire, il faut entendre par là un personnage qui sort vraiment de l’ordinaire. Par son physique d’abord, et puis par ce qu’il raconte. En un long monologue, le personnage évoque les événements marquants des premières années de sa vie, de sa propre naissance à la naissance de sa fille vingt-sept ans plus tard. Ça commençait mal, il faut dire, une naissance difficile, tardive et sans doute non désirée ; puis la séparation d’avec la mère à cause de la maladie ; puis l’enfance de ce petit garçon pas comme les autres, qui dans la cour de récréation ne se mêle pas aux jeux, qui n’aime pas s’amuser, qui grossit mais ne grandit pas, que les jeux de ba-balle et de gué-guerre ennuient profondément. Enfant solitaire dont le seul compagnon est un arbre, un arbre unique, élu parmi tous les autres, car son amour est exclusif et entier. Enfant différent, à tout point de vue hors norme, qui ne veut pas grandir, et qui maintenant adulte continue d’affirmer sa différence, et même désormais la revendique, et exprime avec force son refus de se conformer aux standards habituels.
Ponctué par des images vidéos sobres et efficaces, en une série de tableaux, le personnage revient sur la place qu’il occupe dans la famille et sur les relations qu’il a avec ceux qui l’entourent : avec sa mère, sa mère douloureuse que la naissance de cet enfant a définitivement traumatisée pour le reste de sa vie ; les relations avec ses sœurs, l’aînée qui l’initie aux plaisirs du corps, relation incestueuse faite tout à la fois de volupté et de honte, et la cadette, un vrai garçon manqué, alors que lui, le petit dernier, est de toute évidence empreint de féminité ; relations avec le père enfin, professeur Nimbus à lunettes, qui classe, catalogue, range, trie, enferme et surveille, et qui jette ce qui n’est pas impeccable, conforme, ce qui est différent, ce qui est autre. Pourvu que je ne lui ressemble jamais ! dit l’enfant devenu adulte.
De là vient sans doute la magie du spectacle : c’est que l’auteur et le comédien savent restituer dans toute leur fraîcheur et leur sincérité les émotions de l’enfant.
Et puis à quinze ans, c’est la découverte du théâtre, la nouvelle naissance, l’ouverture à un monde neuf, un nouveau regard. L’éveil d’une passion qui ne le quittera plus. L’évocation du conservatoire d’arrondissement est particulièrement savoureuse. Pierre Pirol joue tous les rôles : celui de Mme le professeur d’art dramatique, un peu grandiloquente et autoritaire, mais encourageante ; celui de la jeune fille récitant Racine, un éblouissement ; et celui du garçon timide qu’il est, obligé de se jeter à l’eau alors qu’il n’était venu que pour écouter les autres. C’est le miracle, la découverte du bonheur. Une nouvelle vie s’offre à lui.
Le théâtre et l’écriture. L’écriture, elle aussi, répond à une besoin irrésistible. Une impérative envie d’écrire : tel est le titre qui s’affiche sur l’écran, en fond de scène. C’est une des étapes du parcours qui mène à la libération. Écrire est une des clés du salut. Le théâtre et l’écriture : c’est ce qui le sauve.
À la fin de ce long parcours qui mène à l’acceptation de soi, le petit homme rond donne sa valise à une ombre, la valise qui contient son passé, et il s’en va libre vers son avenir, vers l’avenir qu’il s’est choisi, d’un pas tranquille et assuré.
On retrouve dans les rondeurs du comédien et son engagement physique quelque chose qui fait penser à Raymond Devos. Un véritable don de soi, une totale générosité. Mais ici, on touche au plus intime. Pourtant il n’y a dans ce spectacle aucun exhibitionnisme et le spectateur ne se trouve pas en situation gênante de voyeurisme, car le vécu est évoqué avec pudeur, sans complaisance, et il est mis à juste distance par l’humour et la poésie. Pierre Pirol est indéniablement écrivain et comédien de talent.
N’ayez crainte, Monsieur Pierre Pirol, il n’y a aucun danger que vous ressembliez jamais au professeur Nimbus ! N’ayez crainte ! … Vous vouliez, successivement au cours des âges, être un Bouddha, un accoucheur, une lettre d’amour.
Vous vouliez être un Bouddha, un sage qui habite son corps, l’accepte comme il est et en joue. En l’occurrence, le corps est souple, il s’amuse, il danse, il mime, il se moque, il se meut avec aisance… et plaisir, de toute évidence. Ça paraît étrange à dire mais ce corps trop lourd, presque difforme, est plein de légèreté et de grâce ! La sagesse, c’est d’admettre l’idée qu’il faut vivre avec ce corps-là et de cette singularité faire un atout, une force. Il faut avoir fait ce chemin pour s’accepter tel que l’on est et se réconcilier avec soi-même.
Vous vouliez être un accoucheur, un homme né au théâtre qui, à son tour, le ferait découvrir à d’autres et le ferait aimer, un homme qui vivrait de sa passion et saurait la transmettre.
Vous vouliez être une lettre d’amour, enfin : votre texte est beau et vous le jouez magnifiquement.
Vous n’avez pas trahi vos rêves d’enfant et d’adolescent, vous les avez accomplis et vous avez gardé intacts cette fraîcheur, cette étrangeté, ce refus de la passivité. Vous avez su retrouver (mais sans doute ne l’avez-vous jamais perdu) le regard de l’enfant et traduire les sentiments du garçon solitaire avec tant de justesse et de sincérité, tant de générosité aussi, et d’humanité, qu’on a envie de vous embrasser. Merci à vous et chapeau bas !
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2 commentaires
Commentaire de: hugues_morin Membre
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Oui, ce que j’aime beaucoup pour prolonger le plaisir, c’est pouvoir lire le texte tout de suite après le spectacle, quand j’ai encore le son de la voix du comédien dans l’oreille et sa prestation toute fraîche en mémoire. Malheureusement le texte de Pierre Pirol n’est pas publié ( pour l’instant ?)
Je ne connaissais pas le sujet, je suis venu en "curieux" accompagner mon frangin, et puis par respect pour les gens qui se bougent!
En effet les textes et la prestation de l’auteur/comédien sont remarquables, cependant j’aurai préféré LIRE cette histoire, certes je n’aurai pas encore tout compris… la poésie je percute pas assez vite, et l’humour j’ai pas tout pipé (j’ai quand même souri à quelques incontournables).
Merci pour le morceau de cuivres de BEIRUT qui m’a fait grand plaisir.