Parfums des sons
De Khalid K
JMMT Production, Les Passionnés du Rêve et Atelier Théâtre Actuel
Mise en scène : Éric Bouvron
Bien avant le début du spectacle, il est déjà là. Pas dans la loge des artistes. Non ! Il se promène autour du Centre Culturel avec la confiance de ceux qui ne connaissent pas le trac. Il parle aux uns et aux autres. Il aime bien cela : sentir l’atmosphère qui l’entoure, connaître les gens, les lieux où ils vivent. A Coye-la-forêt, il a marché jusqu’aux étangs, reçu un peu de pluie sur le visage. Il boit un verre de punch acheté à Valère, le vendeur d’accras. Il est vêtu de bleu, mince et haute silhouette dont les courts cheveux bruns sont taillés à l’Iroquois. Certains spectateurs l’ont reconnu : c’est Khalid K, celui qui l’an dernier a tant contribué par sa présence et surtout sa musique au succès de la représentation des Cavaliers. Aujourd’hui, il est seul et s’apprête à offrir le spectacle de sa propre création Parfums des sons.
Le temps passe. Les spectateurs nombreux sont entrés dans la salle. Lui, il arrive sans façons sur scène, il a seulement enfilé une chemise plus colorée et un autre blouson. Il s’exprime d’une voix douce à la limite de l’audible pour le public du fond. C’est une voix agréable, chaleureuse. Elle invite à une écoute amicale. Les oreilles se tendent. Khalid K parle de sa vie, de l’épisode qui a marqué son enfance lorsqu’il avait quatre ans: la séparation d’avec le Maroc sa terre natale, puis il raconte la découverte d’un nouveau pays, une terre étrangère : la France.
Il continue à parler, à présent dans un micro. Sa voix amplifiée occupe un espace surprenant. Il décrit le souvenir ancien qu’il a du Maroc, coloré de sable et de maisons blanches, puis raconte le vent, il fait le vent, il souffle le vent. Avec les bruits de sa bouche, avec des onomatopées, il réinvente les sons, les voix qui courent dans les marchés, les cris des animaux, le muezzin. Magie ! Voilà qu’on se mettrait à sentir les arômes des rues de Casablanca. Il chante. La puissance d’évocation de son chant est étonnante. On devrait plutôt dire SES chants et SES rythmes parce que Khalid K n’est pas tout seul : il joue en virtuose d’un instrument, petite boîte sombre munie de touches qu’il tient dans la main gauche, un serviteur informatique qui enregistre les courtes séquences qu’il produit et les transforme soit en accords harmonieux ou dissonants du plus bel effet sonore, soit en départs fugués tout à fait comparables à des contrepoints classiques. Le résultat des superpositions successives des phrases peut suggérer par la volonté de l’artiste parfois une assemblée de choristes de gospels - avec soliste, s’il vous plaît – accompagnée de rythmes compliqués, pizzicati de contrebasse et percussions diverses, parfois un orchestre entier, parfois une accumulation de bruits mécaniques, par exemple une locomotive à vapeur etc. Tout cela à l’origine fabriqué par la bouche ou le larynx puis retravaillé en temps réel par le logiciel. Khalid K excelle particulièrement dans les rythmes de marches joyeuses invitant au voyage. La plupart de ses improvisations se fondent sur ces pulsations qu’il danse lui-même avec un entrain communicatif.
La suite du concert est de cette facture créative et montre une grande diversité, suggérant traversée de la mer en paquebot, trajets en train, à pied, feux d’artifice, explosions de fusées... Il est facile d’en oublier parmi une profusion abondante de sons, d’ambiances différentes favorisées par les jeux de lumières inventifs et efficaces d’Edwin Garnier. Khalid K, chanteur-conteur-compositeur, improvisant (hors micro) le texte intercalaire, illustre des étapes de sa vie, insistant sur les aspects psychologiques de sa condition d’immigré. Citons aussi une imitation humoristique particulièrement réussie d’un trio de jazz. Khalid K est un as de la trompette de jazz jouée avec les lèvres et la voix.
Une panne technique survient-elle au cours de la représentation dans le somptueux compagnon informatique ? L’humour et la grâce du musicien consolent le public, remplissent le temps d’attente : comme par miracle, le courant revient et le reste du concert se déroule sans avanie. Le spectacle se termine par une brillante description acoustique de la jungle. Les sons deviennent alors des couleurs, peut-être des parfums.
Ces parfums franchissent les barrières. A un moment-clé de sa vie, ils ont délivré l’enfant Khalid enfermé dans sa solitude. L’enfant a écouté l’intérieur de son corps, le bruit que faisait sa respiration, le bruit de ses mâchoires, celui de ses lèvres ; il a fabriqué un impressionnant langage personnel pour se parler à lui-même, puis il a écouté le langage des autres, celui des étrangers. Il l’a accepté.
Il lui restait à imaginer sa liberté : il l’a peut-être trouvée en se laissant traverser par la musique… le parfum des sons ?
Khalid K poursuit son voyage. Il a confiance.
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1 commentaire
Commentaire de: Maurice Delaigue Visiteur
Jean-François avait bien raison de nous annoncer pour le lundi 16 mai une surprise dans la programmation du Festival.
Pour moi “Parfum des sons” est un petit bijou ciselé par un magicien des nouvelles techniques informatiques qu’il utilise avec brio.
Du gourbi familial au Maroc aux bidonvilles de la région parisienne il nous entraîne dans ce que j’appelle un véritable opéra franco-marocain, riche de musique et de chansons, des sons multiples de la vie et parfois des silences semblables à des respirations pendant lesquelles il nous raconte brièvement l’histoire d’un petit Berbère de quatre ans transplanté du Maroc en France.
Ce petit Marocain, c’est Khalid, il n’a pas oublié ses origines, sa difficile adaptation.
Après le spectacle il est venu vers nous, un peu gêné par le succès rencontré, avec cette gentillesse qu’ont les Marocains, semblable à ceux que j’ai connus lors de mes divers voyages à Marrakech et dans les ksars du sud.
La musique répétitive, les chants me rappellent aussi de vieux souvenirs. Khalid a des yeux rieurs qui me font penser aux conteurs de la grande place de Marrakech qui chaque soir disent des histoires qui n’ont jamais de fin. “Parfums des sons", c’est aussi une histoire qui n’a jamais de fin, on attend la suite, peut-être oui, peut-être pas… comment savoir au pays des magiciens ?