Phèdre de Racine
mise en scène de Laurent Domingos - Cie Minuit 44
Jeudi 7 octobre
Comment représenter au XXIe siècle la tragédie de Phèdre ?
Mettre l’accent sur l’atmosphère de la Grèce, là où se déroule l’action, ou sur le XVIIe siècle, époque de l’auteur Racine, ou sur la portée moderne du débat entre le déterminisme représenté par le pouvoir des dieux et la liberté humaine ? Observons la mise en scène, puis les personnages et enfin la diction des comédiens.
La tragédie, présentée avec quelques coupures, se déroule dans une mise en scène très sobre ; on voit deux sources de lumière : une sorte de vitrail figure le Soleil, aïeul de Phèdre, et un autre représente l’au-delà où Minos, le père de Phèdre, juge les morts aux Enfers.
Ainsi, Phèdre est cernée de toutes parts : sur terre, elle est, en tant que descendante du Soleil, victime de Vénus qui se venge de lui et, dans l’au- delà, elle sera jugée par son propre père.
La déesse Vénus apparaît physiquement sur scène sous la forme d’une jeune et souple gymnaste ; c’est un personnage ajouté par le metteur en scène qui s’inspire en cela de la tragédie d’Euripide : « Hippolyte porte- couronne », où Vénus, présente dans le prologue, expose la situation.
Vénus persécute la famille du Soleil et poursuit également de sa haine Hippolyte qui s’est toujours détourné de l’amour. La déesse, présente sur scène, joue à la fois le rôle du destin et du chœur antique qui annonce les événements et les commente.
La comédienne s’aide en cela d’un instrument de musique inhabituel : le waterphone, au son étrange, comme un écho de l’au-delà.
Les personnages, en beaux costumes colorés où l’orangé domine, portent des cravates qui, chez les hommes, représentent l’ autorité, le pouvoir, et les femmes sont étranglées par des liens symbolisant leur sujétion.
Ce qui frappe, ce sont les rapprochements physiques entre les personnages qui s’embrassent, se témoignent leur affection et leur amour par de grands élans mutuels ; aucun geste déplacé ou choquant (on est loin de l’expression sur scène des fantasmes des personnages dans la mise en scène d’Anne Delbée en 1995) ; tout est suggéré, amorcé, comme dans le texte de Racine, le poète du désir.
Oenone, souvent présentée comme l’âme damnée de Phèdre, lui témoigne ici une affection sincère et profonde.
Laurent Domingos a choisi de présenter – et c’est là l’un des aspects modernes de la conception – des femmes « guerrières », luttant contre le pouvoir des dieux et des hommes.
Devant les femmes, les hommes ont des réactions très visibles : ainsi, Thésée, à son retour, manifeste vivement sa stupéfaction devant le rejet de son épouse.
Au lieu que les personnages, comme souvent dans les représentations traditionnelles de Phèdre, restent isolés chacun dans sa honte, sa jalousie ou sa douleur, ils communiquent vraiment par leurs attitudes et leurs déplacements.
Enfin, ils s’expriment bien sûr grâce aux vers raciniens qu’ils articulent avec fermeté, netteté et naturel, loin des déclamations du XVIIe siècle.
Le metteur en scène Laurent Domingos évoque sur scène l’atmosphère grecque ; il fait des femmes Phèdre et Aricie des « guerrières » qui luttent contre le carcan imposé par une société dominée par les hommes ; il donne aux vers raciniens toute leur force et leur clarté.
En quelques mots, il s’agit d’un spectacle coloré, avec des personnages certes maudits par les dieux ou les hommes, mais ardents et combatifs.
Lien vers la galerie photo : Phèdre de Racine
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